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Si la reine eut envie un moment de se joindre à la fortune de Condé, elle ne tarda pas à être contrainte de suivre la fortune contraire. En vain défendit-elle aux Guises d’entrer à Paris et les invita-t-elle à rejoindre la cour à Fontainebleau. Guise entra à Paris aux acclamations du peuple, et avant que Condé, avec les Châtillon, pût arriver à Fontainebleau, avait ramené le jeune roi à Paris, en signifiant à Catherine qu’elle pouvait aller où elle voudrait et jusqu’en Italie. Catherine avait suivi son fils, moins en reine qu’en prisonnière. Dans ses lettres, elle proteste pourtant contre le dire de ceux qui représentent son fils comme prisonnier des Guises ; elle fait appel à tous ceux qu’elle espère encore émouvoir, pour empêcher la totale ruine du royaume. « Vous pouvez penser, écrit-elle au cardinal de Chastillon, si c’est avec juste cause que je me deulx (désole) et que je suis faschée de voir que le nom yra par toute la chrestienté que moy, qui ay receu tant de honneur de cet royaume, en soit cause de la ruyne. » Elle se flatte de l’espoir que, livré à lui-même, Condé consentirait à désarmer ; mais a tout le monde dit que monsieur l’amiral ayet son seul conseil. » Elle écrit au frère de l’amiral, au cardinal de Chastillon qui « a toujours faict profession de bon patriote. » Elle fait peur aux uns de l’Anglais, aux autres de l’Espagnol. Elle redoute, et non sans raison, que Philippe II ne veuille se faire le vrai tuteur de son fils « qui seroit le comble de malheur et la ruyne totale et éversion de cet estat. »

Par deux fois elle fait des voyages entre les deux armées et a des entrevues en pleine campagne, dans la Beauce, avec Condé, avec l’amiral et ses frères. Elle expose que l’édit de janvier, de l’avis de son conseil, ne saurait être observé, et leur demande de vivre paisibles dans leurs maisons. Les chefs protestans réclament l’exécution de l’édit et le licenciement de l’armée de Guise et du connétable. Des deux parts, on brûlait de s’escrimer, d’en venir aux mains. Catherine seule traitait de folie l’ardeur qui animait tout le monde et qui avait « tumultué les peuples. » Elle ne s’épargnait pas : elle allait à cheval, ou en litière, par de lourdes journées d’été, à travers les grandes plaines couvertes des moissons que la guerre devait bientôt détruire, accompagnée de ce roi de Navarre, qui avait déserté la cause de son frère, que Philippe II amusait de loin par des menteuses promesses et qu’elle avait décoré du nom de lieutenant-général du royaume. Son éloquence persuasive, qui avait un moment ébranlé Condé, avait été perdue avec les Châtillon. ; elle s’en retourna tristement au bois de Vincennes, cherchant les moyens d’empêcher les princes « de la Germanie » et la reine d’Angleterre d’envoyer des secours aux protestans, redoutant ses amis comme ses ennemis, et surtout son terrible gendre, dont la