Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre contre l’Espagne, pendant que la reine mère était allée rencontrer la duchesse de Lorraine ; il voit la reine à son retour, elle lui déclare que de cette guerre elle ne veut point elle-même ; outrée de l’influence qu’en si peu de temps le grave Coligny avait prise sur son fils, elle reprend sans peine son empire ; la question de la guerre était agitée en conseil, le roi, la reine mère et le duc d’Anjou présens, Coligny exposa en vain ses desseins. Il annonça que, quant à lui, il avait promis son appui au prince d’Orange et qu’il le lui donnerait ; puis, « se tournant vers la reine mère : Madame, dit-il, le roi renonce à entrer dans une guerre… Dieu veuille qu’il ne lui en survienne une autre, à laquelle sans doute il ne lui sera pas facile de renoncer ! » La reine put voir dans ces mots imprudens une menace de guerre civile ; elle tenait son ennemi dans Paris, où tout se préparait pour les noces du roi de Navarre. Guise était là, brûlant de haine pour l’ennemi de son père. On sait ce qui suivit et comment la tentative d’assassinat commise sur l’amiral fut le premier acte de la plus sauvage tragédie du XVIe siècle. Micheli fait porter toutes les responsabilités par la reine. « On a, écrit-il, imputé le loup d’arquebuse aux ordres de M. de Guise ; il n’y a été pour rien. L’archibusata a été concertée par M. d’Anjou et la reine. » Et ailleurs il écrit : « Que Votre Sérénité sache que toute cette action, du commencement à la fin, a été l’œuvre de la reine, œuvre combinée, tramée et dirigée par elle, avec la seule participation de monseigneur d’Anjou son fils. Il y a déjà longtemps que la reine avait conçu ce projet… » La reine mère, on le sait, alla repaître ses yeux de la vue du corps de l’amiral pendant au gibet de Montfaucon, et elle y mena son fils, sa fille Marguerite et son gendre.

Après le funeste événement, la reine écrivant à M. du Ferrier, ambassadeur à Venise, le 1er octobre 1572, tenait le langage suivant : « J’ai veu ce que m’avez escript de l’opinyon que aucuns ont que ce qui a esté exécuté en la personne de ladmiral et de ses adherans a esté a linstigation de moy et de mon filz le duc d’Anjou, avec toutz les discours quils vous ont faict la-dessus du tort que par ce moien a esté faict à mondit filz a l’endroict des princes protestans qui avoyent tant deziré de le faire et eslire empereur et de ce que j’avois mieulx aymé risquer ce royaulme en me vengeant de ladmiral que de laugmenter et me ressentir du mal de celluy qui a faict mourir ma fille (Philippe II). » Elle ajoute qu’elle n’a rien conseillé ni permis que ce que « l’honneur de Dieu, le devoir et l’amitié qu’elle porte à ses enfans » lui ont commandé. Elle montre l’amiral troublant l’état depuis la mort de Henri II, travaillant à ôter la couronne à ses fils, rebelle, tenant et gardant des villes contre l’autorité du roi, livrant des batailles et causant la mort d’un grand nombre de