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non pas pour contrarier la couronne, mais pour la mettre à l’abri, pour la sauver, et quoi qu’il arrive, monter à la tribune et déclarer du fond de notre conscience, en toute sincérité, que ce qui se fait émane de notre volonté et nous appartient. » (28 mai 1839.)

Vis-à-vis du roi, M. Dufaure se montrait non moins jaloux de son indépendance qu’à l’égard de la chambre. Il ne tolérait pas que le caractère de ses relations toutes politiques avec les Tuileries fût l’objet d’une équivoque. Depuis son arrivée à Paris, il n’avait paru chez le roi que dans les réunions officielles, non qu’il s’abstînt par un sentiment d’opposition : il aimait trop la charte pour ne pas respecter le premier des pouvoirs qu’elle avait institués, mais son austérité était ombrageuse ; elle s’alarmait de tout ce qui ressemblait à une faveur et risquait de confondre un visiteur avec un courtisan. Le ministère modifia les habitudes, sans affaiblir les répugnances de M. Dufaure. Lorsque le roi se rendit à Eu, il pressa son ministre de l’y accompagner ; celui-ci résista pendant huit jours, puis il céda. On raconte qu’en partant de Paris, il ne voulut pas monter dans l’une des berlines royales et qu’il fit le voyage dans sa propre voiture. Ce trait de caractère ne blessa que les écuyers de service, mais n’enleva rien à l’estime du roi. Il lui répugnait d’attirer l’attention, il se montrait simple dans ses actes comme dans sa tenue. Sa sincérité dénuée de tout apprêt désarmait les critiques et personne ne songea à attribuer ce fait à la recherche malsaine d’une popularité qu’il ne poursuivait pas.

N’est-il pas piquant d’observer que ce ministère composé d’hommes politiques si éloignés de toute complaisance envers la couronne devait être renversé pour avoir présenté un projet que l’on crut inspiré par le roi ? Nul n’ignore aujourd’hui quel était l’emploi de la liste civile. Le temps a emporté les calomnies, et les pamphlets de M. de Cormenin n’ont plus d’écho. Les satisfactions patriotiques que donnait au roi la création du musée de Versailles charmaient ses heures de repos et le grevaient de telle sorte qu’il avait grand’peine à fournir aux dots des princesses. Le mariage prochain du duc de Nemours réveilla les inquiétudes paternelles. Le maréchal Soult proposa au conseil de soumettre aux chambres un projet d’apanage. MM. Duchâtel, Passy et Dufaure luttèrent longtemps et se soumirent des derniers. Les conseillers les plus éclairés de la monarchie de juillet redoutaient l’effet d’une telle demande. Un projet semblable déposé par d’imprudens amis avait été retiré en 1837 par des ministres clairvoyans. Le cabinet du 12 mai se crut assez fort de son indépendance reconnue pour faire passer une loi équitable en elle-même et qui eut dû être votée si la France avait eu pour îa royauté cet attachement héréditaire qui fait, dans une contrée voisine, la force de la monarchie. Malheureusement le pays ne comprenait pas