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était humilié que cette thèse fût défendue par un de ses anciens amis, membre du centre gauche, qui avait abandonné son drapeau pour se mettre à la poursuite d’une popularité malsaine. Prêt à combattre des théories qu’il jugeait pernicieuses, il saisit l’occasion de lui donner une leçon. Dès le début, il mit en présence de ce droit qui semblait, dans la bouche des réformateurs, la panacée du corps social, le devoir qui incombe à la société de donner aide et assistance aux malheureux. La commission pouvait envisager à deux points de vue les rapports des citoyens avec l’état. Dans la constitution, elle avait préféré, lorsqu’il s’était agi des relations des différentes classes sociales, parler des devoirs que des droits. Après un éloquent parallèle entre l’idée du droit, fière et égoïste, et l’idée de dévoûment et de sacrifice que contenait le devoir, il s’empara d’une allusion faite la veille au christianisme. « C’est l’éternel honneur, dit-il, de la religion chrétienne ; elle vous apprend des devoirs et non des droits ; elle a produit dans le monde la plus grande révolution sociale qui jamais y ait éclaté, elle a affranchi le sujet de sa subordination aveugle et servile envers le souverain ; elle a relevé la femme de l’humiliation dans laquelle elle vivait ; elle a brisé les fers de l’esclave, elle a égalé le pauvre au riche. Comment a-t-elle fait cela ? Est-ce en parlant au sujet, à la femme, à l’esclave, au pauvre de leurs droits ? Non, c’est en parlant au souverain, au chef de famille, au maître, au riche, à tous, de leurs devoirs ! » (14 septembre 1848. )

Il était arrivé rarement à M. Dufaure de remuer aussi profondément une assemblée. Le succès fut immense. Jamais, d’ailleurs, il ne s’était moins ménagé. À chaque séance, il avait à défendre l’œuvre de la commission contre une nuée d’amendemens, qui, sous prétexte de constitution, avaient pour but de modifier toutes nos lois. Toutes les chimères et tous les projets s’étaient donné rendez-vous dans cette discussion au cours de laquelle M. Dufaure dut monter trente-trois fois à la tribune.

On était au milieu d’octobre. L’assemblée venait de décider, malgré les ministres, par six cents voix contre deux cents, que l’élection du président de la république se ferait au suffrage universel. Les ministres se retirèrent. M. Dufaure fut appelé par le chef du pouvoir exécutif et il entra avec M. Vivien dans le cabinet reconstitué. En lui confiant le portefeuille de l’intérieur, le général Cavaignac montrait une grande hardiesse. « À huit mois du 24 février, disait, non sans raison le National, il est naturel qu’on s’étonne de voir l’ancien adversaire des banquets réformistes devenir le chef de la politique intérieure de la France républicaine. » (15 octobre.) Ces attaques trouvèrent un écho dans l’assemblée. Il eut hâte d’y répondre. « De quoi se plaint-on, en réalité ? demandait-il. Soyons