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découragé lui-même l’initiative individuelle qu’il se piquait de provoquer. Puis, dans tous ses essais de ce genre, le pouvoir impérial a usé d’un procédé aussi défectueux qu’illogique. On a bien voulu décentraliser, frayer la voie au self-government local, limiter l’autorité de la bureaucratie et du tchinovnisme ; mais dans toutes ces louables tentatives, on n’a touché le tchinovnisme et l’administration que par le bas, par les parties inférieures. Or, pour transformer le régime bureaucratique, pour introduire dans les organes et les veines de l’état une vie nouvelle avec un sang nouveau, c’était par l’administration centrale et le haut tchinovnisme que la réforme eût dû procéder ; c’était à la source même de l’arbitraire qu’il fallait refréner les abus.

Rien de plus défectueux que les principaux ressorts du gouvernement russe. En dehors même de l’autocratie qui en reste l’unique moteur, aucun état moderne n’a une machine aussi imparfaite. On imaginerait difficilement quelque chose de plus grossier et de moins pratique que les deux grands agens de l’autorité suprême, les deux organes qui, au nom de l’autocratie, exercent l’un le pouvoir législatif, l’autre le pouvoir exécutif : le conseil de l’empire et le comité des ministres. Pour se rendre compte des vices de l’administration impériale et de la caducité du régime en vigueur, il n’y a qu’à en examiner la constitution et le fonctionnement.

Le conseil de l’empire, institué par Alexandre Ier et Spéranski, n’a pas répondu aux espérances de ses fondateurs. Destiné à suppléer à l’absence de parlement, à représenter le pouvoir autocratique en qualité de législateur, il devait en même temps contrôler l’administration des ministres. De ces deux missions il n’a vraiment rempli ni l’une ni l’autre. La faute en est à la fois au mode de recrutement de cette haute assemblée et au règlement qui lui est imposé. Ce conseil, théoriquement investi des plus larges attributions, celles d’élaborer des lois et de contrôler l’administration supérieure, est en grande partie composé de hauts fonctionnaires, les uns en place, les autres en retraite, les premiers absorbés par leurs emplois, les autres souvent hors d’état, par l’âge ou la maladie, de prendre aux travaux du conseil une part sérieuse. A côté de nombreux aides de camp étrangers aux affaires, siègent d’anciens fonctionnaires civils, désireux de rentrer au service actif et plus jaloux de se concilier les ministres que de surveiller leurs actes. Quand on défalque les non-valeurs, on trouve que, sur les soixante membres du conseil, il ne reste, comme force effective, qu’un personnel insuffisant, incapable, par le nombre comme par la situation de ses membres, de remplir le rôle de corps législatif ou de chambre de contrôle. À cette institution, comme à toutes les assemblées russes, manque enfin ce