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qui, malgré ses défauts d’origine, pourrait ailleurs lui donner un peu d’indépendance et d’autorité : l’esprit de corps.

Ainsi faite, cette assemblée est fatalement réduite à un rôle tout passif, tout extérieur. Au lieu d’élaborer des lois, elle se contente le plus souvent d’enregistrer des décrets. Aussi, lorsqu’il s’agit de mesures de quelque importance, le souverain, loin d’en confier l’étude à son conseil de l’empire, recourt d’ordinaire à des commissions spéciales dont les projets ne sont guère soumis au conseil que pour la forme. C’est de cette façon, à commencer par l’émancipation des serfs, qu’ont été préparées toutes les grandes réformes administratives, judiciaires, militaires, économiques. Ce système de commissions isolées, temporaires, révocables à volonté, est peut-être, du reste, plus conforme au principe du pouvoir autocratique. Sous Alexandre III comme sous Alexandre II, il y a toujours en train plusieurs commissions ou comités de ce genre, dont beaucoup, après avoir fait quelque bruit à leur naissance, disparaissent silencieusement, sans rien avoir produit que de volumineux rapports, ou s’éternisent indéfiniment après de savantes et stériles dissertations théoriques. A l’aide de ces commissions spéciales, le gouvernement remédie à l’insuffisance de son conseil législatif ; mais ce n’est pas sans un double inconvénient. C’est d’abord au prix d’une lenteur désespérante, qui ferait souvent paraître rapide la longue procédure de nos parlemens les moins expéditifs ; c’est ensuite en perdant tous les avantages d’une législation uniforme et homogène. Issue de commissions diverses et sans lien entre elles, de comités étrangers les uns aux autres et obéissant parfois à des impulsions opposées, la législation russe garde forcément quelque chose de fragmentaire, d’incohérent, d’inconséquent. Le mode de confection des lois explique le peu d’harmonie et le peu de fruits de beaucoup des meilleures réformes d’Alexandre II.

On ne saurait rendre au conseil de l’empire le rôle que lui destinait son fondateur sans en relever le niveau et en étendre les droits, et cela ne saurait se faire sans en modifier la composition. On y a songé à la fin du règne d’Alexandre II. On a parlé non-seulement d’augmenter le nombre des membres du conseil, mais d’y appeler, à côté des représentans de l’empereur, des représentans du pays, choisis dans le sein des assemblées provinciales, si ce n’est élus par elles. Beaucoup de Russes se plaisaient à voir dans un tel expédient un moyen de faire participer la Russie à son gouvernement sans lui donner de constitution, un moyen d’avoir sans élections politiques l’équivalent d’un parlement. Quelle que soit la valeur pratique de pareils procédés, l’empereur Alexandre II semble n’en avoir pas été éloigné au moment de sa mort, et des projets