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la dissolution du premier ministère de l’empereur Alexandre III. Pour rassembler toutes les forces du gouvernement dans la lutte contre le nihilisme, pour mettre fin aux trop fréquentes guerres civiles des administrations entre elles, il avait été décidé, selon le principe posé plus haut, qu’à l’inverse de ce qui se pratiquait sous Alexandre II, les ministres ne présenteraient plus à la signature impériale que les mesures approuvées en conseil par leurs collègues. L’empereur, paraît-il, avait sanctionné cet arrangement, le public en avait été informé ; on se flattait déjà de voir la Russie en possession d’un vrai cabinet, lorsqu’une intrigue de cour, comme il en peut toujours surgir en un gouvernement absolu, est venue tout modifier. On avait oublié que la première condition pour qu’un pareil principe pût être respecté, c’était que tous les ministres fussent d’accord et obéissent à la même inspiration. Or il était loin d’en être ainsi du premier ministère d’Alexandre III. On y distinguait, selon les traditions du règne précédent, au moins deux tendances plus ou moins nettement indiquées, car, en Russie, les couleurs politiques sont encore loin d’être aussi tranchées qu’ailleurs. Les partisans des idées soi-disant libérales ou occidentales semblaient l’emporter par le nombre comme par l’influence. C’étaient notamment d’anciens ministres d’Alexandre II, le général Loris-Mélikof, ministre de l’intérieur, le général Dmitri Milutine, ministre de la guerre et M. Abaza, ministre des finances. Ces trois personnages formaient une sorte de triumvirat dont l’ascendant semblait devoir être prédominant. A côté, ou mieux, en face d’eux se rencontraient des hommes appelés au pouvoir par le nouvel empereur et qui passaient pour représenter les aspirations plus ou moins vagues du parti national ou des anciens slavophiles. C’étaient d’abord le général Ignatief, l’ancien ambassadeur à Constantinople, alors ministre des domaines, puis le procureur-général du saint-synode, M. Pobédonostsef, ancien précepteur d’Alexandre III, traducteur de l’Imitation, homme avant tout religieux et conservateur, en tout cas mieux disposé pour Moscou et le parti national que pour les idées occidentales en vogue à Pétersbourg. Ce n’était pas un ministère composé d’élémens aussi disparates qui eût pu imprimer à toute la politique une direction uniforme. L’inexpérience russe pouvait seule s’y tromper, mais la déception devait être rapide. Au moment où l’on se flattait déjà de voir la Russie entrer en possession d’un vrai cabinet, éclatait une crise ministérielle sans précédent jusqu’alors. L’empereur Alexandre III avait, en dehors de ses principaux ministres, arrêté les termes de son mémorable manifeste du 29 avril 1881, où, pour la première fois, il devait faire part de sa politique à ses peuples et à l’étranger. Ce manifeste, qui affirmait solennellement