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sexe a si longtemps régné, et cela d’autant plus aisément que la femme russe est plus intelligente, plus cultivée, plus séduisante et que, dans les hautes classes, elle est d’ordinaire moins embarrassée de religion, de scrupules ou de préjugés. De tous les états contemporains, la Russie est peut-être le seul où la chronique scandaleuse conserve encore un véritable intérêt pour l’historien. A la fin du règne d’Alexandre II, par exemple, comme à Versailles dans les dernières années de Louis XV, toute la cour était divisée en deux camps : les partisans et les adversaires de la favorite impériale, et les premiers n’étaient ni les moins nombreux ni les moins puissans. C’est là, on le sent, un sujet délicat que nous n’abordons qu’avec répugnance et sur lequel il nous déplairait d’appuyer. On comprend de reste, sans que nous ayons besoin d’insister, combien de telles mœurs sont propices à la vénalité et aux abus de toute sorte.

Avec de pareilles influences, alors que de semblables exemples ne restaient pas sans imitateurs à la cour et dans le haut personnel administratif, on imagine ce que pouvait être parfois la distribution des places et des pensions. A Saint-Pétersbourg, de même encore qu’à Versailles avant la révolution, les pensions, les faveurs, les grâces de toute sorte sont toujours fort en honneur et, comme jadis dans la noblesse française, presque personne n’est assez fier pour avoir honte d’en recevoir sa part. Outre les pensions en argent, forcément limitées par la pénurie du trésor, qu’elles contribuent à obérer, la cour russe a gardé jusqu’à Alexandre III, comme sous les vieux tsars, la précieuse ressource des arendes et des distributions de terre. A tel haut fonctionnaire qui se retire du service ou que l’on veut gratifier d’une récompense, on donne, pour sa vie durant ou à perpétuité, au lieu d’une pension, une certaine étendue de terre prise sur les immenses biens de la couronne. Les domaines de l’état, accrus en Pologne et dans les provinces occidentales de propriétés confisquées, sont une mine abondante où, sous Alexandre II, comme autrefois sous Catherine II, la faveur a puisé à pleines mains. De 1871 à 1881, on calcule qu’on a ainsi distribué aux principaux fonctionnaires et à leurs créatures un demi-million de désiatines, soit une moyenne annuelle de 55,000 hectares attribués au tchinovnisme de la capitale, et cela, d’ordinaire, non point dans des régions désertes, non dans les inaccessibles forêts du nord-est, mais dans les plus fertiles contrées de la Pologne, du Caucase, de l’Oural. Dans les derniers mois de l’empereur Alexandre II, au plus fort de la lutte contre le nihilisme, ces allocations immobilières ont été si considérables, sur les terres des Bachkirs notamment, qu’à Pétersbourg et à Moscou les railleurs disaient que le vaste