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mon lecteur. J’ai exposé les hypothèses relatives à l’univers, au monde, à la terre, aux espèces vivantes. Rien n’est plus propre à faire toucher à l’esprit humain les bornes qui le renferment. Dès qu’il tente de parvenir à ce qu’exprime le mot ambitieux de cosmogonie, il franchit les uns après les autres maints degrés prodigieux ; mais quelque vaste espace qu’il parcoure ainsi, quelque immensité qu’il traverse, d’autres immensités s’ouvrent à perte de vue, et il revient résigné à ignorer. »

Ces grandes hypothèses elles-mêmes ne sont-elles pas en contradiction avec la méthode de l’école, qui, dans sa rigueur, ne doit admettre comme faits positifs que les faits vérifiés, et, par conséquent, ne devrait rechercher que ceux qui sont vérifiables ? Le mot d’hypothèses positives employé par M. Littré est un mot peu rassurant pour l’orthodoxie de l’école, puisque ces hypothèses peuvent gagner ou perdre en consistance à mesure que se révèlent des faits nouveaux qui leur sont favorables ou contraires et que, dès lors, elles n’ont à aucun degré le caractère de positivité. Qui ne voit combien de problèmes, même dans l’ordre physique et physiologique, échapperont éternellement aux prises de cette doctrine, comme ceux qui ont pour objet la nature intime de la matière et de la force, l’origine du mouvement, l’origine de la vie, l’origine de la sensation ? M. Littré me répondra : « C’est là déjà que commence le domaine des choses qui ne peuvent pas être connues. Or, sur tout cela, je professe de ne rien nier et de ne rien affirmer ; je ne connais pas l’inconnaissable, j’en constate seulement l’existence ; là est la philosophie suprême : aller plus loin est chimérique, aller moins loin est déserter notre destinée. » Mais alors il devrait être interdit même de chercher dans ces voies hasardeuses et sublimes. Et qui ne voit pourtant quelle diminution on ferait subir à l’esprit humain (diminutio capitis) si on lui imposait la loi de se borner à la sphère des faits vérifiables et des lois démontrables ? Il semble, dès lors, qu’il devrait renoncer à toutes ces conjectures hardies et superbes qui sont la plus haute expression et l’honneur de la pensée, aux limites de la science positive qu’elles dépassent de toutes parts et qu’elles agrandissent sans fin en lui ouvrant des horizons illimités.

Mais c’est surtout dans les recherches qui concernent les phénomènes de l’esprit, l’esprit lui-même et ses lois, qu’éclate cette radicale impuissance. Je ne prendrai que deux exemples, me réduisant à de simples indications. Chacun de ces points réclamerait une étude particulière, et cette étude irait à l’infini. La constitution de la psychologie et l’établissement de la morale trouvent la science positive tout à fait au dépourvu. Par aucun expédient de logique on ne peut obtenir d’elle rien qui puisse nous aider à résoudre d’une