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ou la Faute de l’abbé Mouret, les mêmes gens criaient à l’impertinence, qui, changeant aujourd’hui d’avis avec la foule, parlent couramment dans leurs journaux, avec cet aplomb qu’ils ne perdent jamais, de « l’horrible roman de Pot-Bouille. » Horrible ? je le veux sans doute, et c’est bien dit ; mais en quoi plus horrible que ceux qu’ils ont vantés ? c’est ce qu’ils oublient de nous démontrer. Ce sont aussi les journaux où l’on ne se faisait faute, vers le même temps, de prendre publiquement contre les tribunaux la défense des éditeurs qui réimprimaient l’Arétin, mais où l’on se lamente aujourd’hui quotidiennement sur cette honteuse gangrène, qui gagne en effet et s’étend tous les jours, de la littérature pornographique. Tant il est extraordinaire, à ce qu’il paraît, de récolter ce que l’on a semé !

C’est ici surtout que M. Zola, quand il voit s’élever furieusement contre lui ceux-là mêmes qui lui fournissent, en quelque sorte au jour le jour, la matière de ses Pot-Bouille et de ses Nana, si sa philosophie, comme je l’espère, lui défend de se fâcher, a le droit au moins de s’étonner. Car après tout, que fait-il donc qu’il ne voie faire ? et de quoi se plaint-on s’il met en œuvre ce que ses journaux, chaque matin, lui apportent ? Nous savons comment se confectionne un roman naturaliste, et quand M. Paul Alexis ne nous aurait pas raconté la cuisine de l’Assommoir ou de Nana[1], nous devrions cependant assez la connaître. Ce sont des notes, de simples notes, lentement amassées, soigneusement classées, dûment étiquetées ; on les coud ensemble dès qu’il y en a de quoi faire un juste volume ; et, au besoin, tant bien que mal, car ce point n’est pas nécessaire, on les fait entrer dans un semblant d’action. L’observation, dit-on, en suggère quelques-unes ; les livres, la conversation, les amis en apportent leur part ; mais ce sont les journaux qui donnent la plus ample moisson.

Or, est-il vrai qu’il existe aujourd’hui toute une armée de reporters, nuit et jour à l’affût de ce qu’ils appellent l’événement parisien, qui sans doute n’est pas les omnibus versés ou les chiens écrasés, mais bien, et sans tant tourner autour du mot, l’aventure scandaleuse ? Est-il vrai que s’il éclate quelque vilaine affaire, de celles sur qui, comme un tribunal ordonne le huis-clos, il serait à souhaiter que la presse entière fît le silence, les courriéristes, au contraire, s’empressent de lui donner d’un bout de la France à l’autre tout le retentissement qu’elle puisse avoir ? Est-il vrai que s’il s’élève quelque lamentable ou honteux procès, les chroniqueurs, à leur tour, s’en emparent comme d’un thème pour leurs variations, et que s’il se rencontre dans l’espèce quelque détail particulièrement inconvenant, ce soit celui-là qu’ils soulignent, qu’ils détachent, qu’ils ramènent avec une

  1. Emile Zola. Notes d’un ami, par M. Paul Alexis, Paris, 1882 ; Charpentier.