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été l’hôte bienvenu et applaudi au moins un jour, mais il n’y eut jamais de résidence fixe et n’y fut jamais seigneur reconnu d’aucune terre. On peut déjà juger par là de l’embarras du malheureux essayist, qui est obligé de mettre dans ses jugemens l’unité que Nodier n’a pas mise dans son œuvre ; cependant, à cette première difficulté il s’en ajoute une seconde qui n’est pas moindre. Il est impossible de parler de Nodier sans rappeler les principales phases de sa vie, et il y a dans sa vie même décousu que dans son œuvre. À ce décousu il se joint de l’obscurité, et une obscurité d’un caractère fort exceptionnel. Ce n’est pas que les documens manquent ; malheureusement, c’est Nodier lui-même qui en a fourni les plus importans, et il a eu la malencontreuse fortune de ne pouvoir jamais faire admettre ses récits sans défiance. D’ordinaire, le témoignage d’un galant homme est accepté sur sa seule affirmation ; il a été donné à Nodier de renverser cette règle habituelle. Le crédit que tous étaient prêts à accorder à son honneur, à sa probité, à sa bonté, il ne put jamais l’obtenir pour sa parole : de quoi il s’est irrité souvent et s’est plaint en mainte rencontre. Dès que Nodier racontait un souvenir personnel, tous ses auditeurs lui prêtaient l’oreille comme à un émule de Perrault, et, le récit terminé, tombaient d’accord pour vanter la fécondité d’imagination et le don d’inépuisable jeunesse du narrateur. Circonstance grave, ce n’était pas seulement chez les malveillans comme Quérard le fureteur, ou chez les malicieux comme son successeur à l’Académie, Mérimée, que se rencontrait ce scepticisme ; nous voyons qu’il était partagé par ses plus intimes, par ceux qui avaient le plus de raisons de l’aimer ; les souvenirs, rassemblés par sa fille, Mme Ménessier, n’en sont même pas entièrement exempts. « Sa mémoire était en lutte avec son imagination, » a dit de lui Alexandre Dumas, et ce mot spirituel exprime à merveille le genre d’incrédulité que Nodier eut toujours le défavorable privilège d’inspirer.

Voilà bien des difficultés ; nous ne sommes pas cependant tout à fait sans ressources pour les surmonter. Il y a quelques années déjà, un honorable magistrat franc-comtois, député du Doubs à l’assemblée nationale de 1871, M. Estignard, ayant été institué légataire des papiers de Charles Weiss, eut l’heureuse pensée d’en séparer la correspondance de Charles Nodier et de la livrer à la publicité. Cette correspondance, qui parut à la fin de 1875, n’eut qu’un assez médiocre retentissement. La politique y fut certainement pour beaucoup. Des lettres de Charles Nodier tombant à cette heure incertaine qui laissait encore vivantes les espérances et les craintes les plus contraires n’avaient guère chance d’intéresser que quelques rares survivans des soirées de l’Arsenal ou quelques romane tiques surannés, tous gens maintenant de voix trop éteinte pour