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se résolut à le marier et fit choix pour lui de la fille d’un de ses collègues, Mlle Désirée Charves. Le moyen était bon, et le choix meilleur, encore, puisque Nodier dut à cette union le bonheur du reste de sa vie ; toutefois il y eut encore une certaine imprudence dans la hâte avec laquelle le mariage semble avoir été conclu. Les deux époux étaient à peu près sans fortune, et Nodier ne tarda pas à comprendre qu’il ne s’était pas rendu compte bien exactement de l’insuffisance des ressources de son ménage. Il lui fallait donc se créer une occupation lucrative, mais laquelle ? Là était pour Nodier la très grande difficulté. Jusqu’alors il s’était dépensé au hasard, sans poursuivre aucun but fixe, si ce n’est celui de conspirer, et ses études très variées n’avaient obéi qu’à la fantaisie. Entre deux mandats d’arrêt, pendant une éclaircie de son orageuse jeunesse, il avait fait à Dôle un cours de belles-lettres qui avait eu un véritable succès, et ses amis, Weiss en tête, s’en autorisaient pour l’engager à entrer dans l’université ; mais on peut être capable d’embarrasser des savans et être en même temps parfaitement incapable d’enseigner l’alphabet à des enfans, et tel était un peu le cas de Nodier. Toutes les fois que de pareilles propositions lui sont faites, nous le voyons dans ces lettres avouer franchement son peu d’aptitude à ces modestes et utiles fonctions de professeur qui exigent tant de patience et de dévouaient et sont récompensées par tant d’obscurité : « Quoique je doute qu’il y ait sur les bancs de rhétorique des écoliers qui en sachent plus long que moi généralement parlant, écrit-il à Weiss, je ne pense pas qu’il y en ait un seul qui ne puisse traduire mieux que moi Tacite et même Horace, que je ne lis qu’avec une extrême difficulté et même le dictionnaire à la main, je ne me ferais même pas fort d’entendre Phèdre d’un bout à l’autre sans ce secours. » Et encore en 1811 : « Le fait est que je suis absolument incapable de diriger l’éducation d’un enfant qui lit bien Tite Live, et je saurais d’ailleurs tout ce que je ne sais pas en grec et en bas-breton que je serais fort loin d’être propre à la chaire de troisième. Fais-moi, grâce de mes gasconnades pour la sincérité de cet aveu, et débarrasse-moi des gens qui veulent me faire parler latin en public. » Le grand-maître de l’université d’alors l’aurait-il d’ailleurs agréé ? Nodier était bien mal avec le pouvoir existant pour en obtenir une faveur quelconque, et le sentiment qu’il avait de cette situation le disposait peu au rôle de solliciteur. Aussi le voyons-nous un jour répondre à son ami Weiss, qui l’avait pressé de se fixer un peu plus que de coutume, par cette spirituelle boutade : « Croirais-tu que de toutes les places que j’ai pu désirer depuis mon heureuse retraite à Quintigny, une seule a excité assez vivement, ma cupidité pour me décider à une démarche ? Cette place (puisque place