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La décision de la chambre des lords fut le point de départ d’une politique d’apaisement à l’égard de l’Irlande. Le premier ministre, Robert Peel, n’avait jamais été un fanatique, même dans sa jeunesse et ses tendances modérées n’avaient fait que s’accentuer à mesure qu’il avançait en âge et en expérience. Il rappela d’Irlande le vice-roi, lord de Grey, qui avait été personnellement engagé dans la lutte contre O’Connell, et lui donna pour successeur lord Heytesbury, moins compromis. Il augmenta la dotation du séminaire de Maynooth, fondé autrefois par Pitt pour favoriser le recrutement du clergé catholique en Irlande. Il eut à lutter dans cette circonstance contre une double opposition, celle de certains conservateurs à l’esprit étroit, comme M. Spooner, et celle de certains puritains enfiévrés de haine contre le catholicisme. Il répondit aux uns comme aux autres avec beaucoup de sang-froid et de dignité : « Nous ne pensons pas que vous puissiez voir dans ce projet de lot rien qui blesse vos consciences ; nous pensons que vous pouvez rester inébranlables dans votre foi tout en ne refusant pas d’améliorer l’éducation de ceux qui sont appelés à servir de guides spirituels à un nombre considérable de vos concitoyens. » Poursuivant toujours cette politique de conciliation, il proposa la création en Irlande de trois collèges destinés à former une nouvelle université, dite l’université de la reine, et à donner uniquement l’instruction scientifique et littéraire à l’exclusion de tout enseignement religieux. Cette fois il n’eut pas seulement contre lui les protestans les plus ardens ; son système déplut aussi à beaucoup de catholiques. Il choquait les idées établies en Angleterre comme en Irlande-, où l’on ne sépare pas volontiers la religion de l’enseignement. Les collèges de la reine, qualifiés d’écoles sans Dieu, n’obtinrent qu’un médiocre succès, malgré les très louables intentions de leur fondateur.

Toutes ces mesures cependant amenèrent un apaisement momentané en Irlande. La popularité d’O’Connell était ébranlée. Son attitude, au moment de l’interdiction du meeting de Clontarf, lui était reprochée comme une défection. Des hommes plus jeunes, plus ardens, moins expérimentés, rêvaient de donner une autre direction au parti national. C’était Smith O’Brien, que nous avons déjà vu mêlé au mouvement chartiste : un Lafayette irlandais, moins le prestige militaire, descendant authentique d’une des anciennes dynasties nationales de l’Irlande, allié aux premières familles de l’aristocratie, cœur honnête, esprit chimérique, caractère indécis. C’était Thomas Francis Meagher, un jeune homme de vingt-deux ans, presque un enfant, mais un enfant merveilleusement doué pour l’éloquence. C’était Mitchel, l’homme d’action du parti, Mîtchel, qui rêvait de Robespierre et de Saint-Just, pendant que Meagher rêvait de Vergniaud. Car tous ces hommes nouveaux vivaient au milieu des