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touche, indiquant chaque cheveu et chaque poil de sourcil, il faut s’étonner, mais non crier à l’originalité. Lorsque ce même artiste jette avec une recherche précieuse sur ses premiers plans des fleurettes, des branchages et des touffes d’herbe scrupuleusement peintes pétale par pétale, feuille par feuille et tige par tige, cela rappelle le feuille pénible des paysagistes de l’école académique, contre laquelle ont si victorieusement réagi Théodore Rousseau et Paul Huet, avec leurs masses confuses de verdure et leur suppression des détails aux premiers plans. Le mouvement impressionniste n’est pas une révolution dans l’art comme le fut le mouvement romantique ; c’est une contre-révolution. Il restaure le préraphaélisme et le fait servir à la peinture des types les plus vulgaires du peuple. Il naturalise le japonisme. Il nous ramène aux paysages des Bidault, des Valenciennes et des Michallon.

Sans doute, tout le monde ne juge pas ainsi. Combien de gens voient dans la jeune école le renouvellement et l’avenir de l’art français ? En n’admirant pas les impressionnistes, nous serions alors aussi aveugle que Kératry, qui écrivait que le Naufrage de la Méduse déshonorait le Salon. Kératry se trompait, mais il était sincère, comme nous le sommes nous-même. Si le critique était assez timoré pour craindre qu’on lui reprochât un jour ses jugemens, il lui faudrait tout porter aux nues de confiance, sous prétexte que tout peut être consacré par la postérité. D’ailleurs, au cas où la postérité mettrait au même rang l’impressionnisme et le romantisme, le peintre de la Méduse et le peintre d’Olympia, le peintre de l’Entrée des croisés à Constantinople et le peintre du Père Jacques, qui assure que la postérité ne se tromperait pas ? Avoir eu au XVIIe siècle toutes les noblesses, au XVIIIe toutes les grâces, au XIXe toutes les grandeurs, et tomber au seuil du XXe siècle dans toutes les trivialités, quelle apothéose pour l’école française !


I

Si maître Petit-Jean avait à écrire le Salon de 1882, il ne dirait pas que ce qu’il sait le mieux, c’est son commencement. Par où commencer cette revue de deux mille sept cent vingt-deux toiles ! Jadis on trouvait des points de repère ; il y avait une division tout indiquée. La grande peinture comprenait les tableaux religieux, les tableaux mythologiques, les tableaux d’histoire. On passait de là au genre historique. Venait ensuite le genre proprement dit, les anecdotes, les intérieurs, les petites scènes et les petits personnages. Aujourd’hui, c’est peine perdue de parler des peintures religieuses que personne ne regarde plus ; les tableaux mythologiques et les tableaux d’histoire deviennent rares, et le genre