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il s’appuie contre un rocher et montre à la femme pour qui il meurt le rameau de corail rapporté du fond de l’abîme. Elle, debout sur le rocher, regarde sa victime avec une indifférence de statue. Ce n’est pas seulement le beau sentiment qui distingue ce tableau, c’est aussi le style du dessin, la recherche savante de l’exécution et la finesse de la couleur. Les Baigneuses de M. Benner sont un heureux pastiche, — autant qu’un pastiche peut être heureux, — des nymphes de M. Henner. Les éloges qu’on donne au tableau de M. Benner s’adressent donc surtout à M. Henner.

M. Lesrel, un coloriste, a hardiment couché sa Bacchante sur un tapis de peluche rouge, qui se marie dans une vive harmonie avec la chevelure rutilante de la jeune femme et avec le resplendissant éclat de sa chair. C’est « l’ivoire légèrement teinté de pourpre » dont parle le plus grand des coloristes : Homère. Le Crépuscule, de M. Georges Gallot, n’a point la couleur superbe de la Bacchante de M. Lesrel ; mais cette femme, à demi étendue dans une prairie que baigne la douce lumière reposée des soirs d’automne n’en est pas moins une des meilleures figures nues du Salon, par le choix des formes, la largeur délicate de la touche et la science des fines tonalités. Les chairs ont des gris-lilas qui rappellent la délicatesse infinie des beaux pastels. La Naïade de M. Landelle se penche vers une source pour y remplir une amphore. C’est donc moins une naïade qu’une jeune fille à la fontaine, — avec un costume qui n’est pas usité dans les villages ; — la tête trop grosse pèche par la proportion, et les contours accusent un caractère de rondeur. M. Jansen donne le nom de Réveil à une autre femme nue. Cette lourde et vulgaire personne a bien fait de se réveiller toute seule, car personne n’aurait l’idée de jouer auprès d’elle le rôle du Prince Charmant. La Jeune Fille de M. Jourdan, qui écoute dans une coquille marine l’écho de paroles d’amour, est fort jolie en ses roses carnations à la Chaplin. M. Guay s’est assurément torturé l’imagination pour poser sa Nymphe dans une attitude originale. Mais il n’a réussi qu’à donner une contre-épreuve d’une figure célèbre de M. Jules Lefebvre, et il n’a pas renouvelé le type par la maestria de l’exécution. On aime la poétique Nuit, de M. Roubaudy, s’élevant dans une pose malheureusement trop connue sur le ciel étoile, et la gracieuse Source, de M. Schutzenberger, qui montre au fond des bois sa nudité rose.

Lorsqu’on visite le Salon sans le devoir d’en rendre compte, on a entre autres agrémens celui de ne pas s’arrêter devant le Crépuscule de M. Bouguereau. C’est ici que nous nous rappelons le mot de Diderot : « Ah ! la terrible corvée que le Salon ! » S’il ne s’agissait que d’exprimer l’aversion, plus ou moins irréfléchie, qu’inspire cette peinture-là, rien de plus simple. Mais il en faut donner les