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Avant qu’on eût décrété l’égalité de tous devant le service militaire, c’est sur eux surtout que pesait l’impôt du sang, le plus lourd de tous.

Les impôts les atteignent plus durement que les habitans des villes : car, dans les campagnes, il n’y a pas une augmentation de bénéfices qui compense l’augmentation croissante des impôts. Alors que le renchérissement des objets de toute sorte a diminué énormément la valeur de l’or et de l’argent, les produits agricoles n’ont pas augmenté de valeur. La concurrence redoutable des États-Unis et de la Russie pour les blés, de l’Italie et de l’Espagne pour les vins, a fait que les. prix du blé et du vin ne se sont pas accrus autant que le prix des autres objets nécessaires à la vie.

Ainsi, pour le paysan, tandis que les dépenses et les impôts augmentent rapidement, les recettes demeurent stationnaires. Même elles ont diminué dans les dernières années : car, depuis 1875, la production agricole, par suite du phylloxéra, de la sécheresse, des froids tardifs, des pluies intempestives, etc., a été très faible. Il s’ensuit que la population agricole a cruellement souffert. "Voilà sans doute pourquoi beaucoup de campagnards désertent les champs qui ne peuvent les nourrir pour chercher dans les villes une existence moins misérable.

La France était jadis un pays essentiellement agricole. Elle tend maintenant, — et c’est un mal, — à négliger l’agriculture, à devenir un pays d’industrie et de commerce. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir cette transformation qui s’opère graduellement, mais rapidement, dans nos conditions d’existence.

Le vieux sol français est-il donc épuisé ? Ne peut-il nourrir plus d’hommes que ceux qui vivent sur lui actuellement ? Est-ce que le maximum de la population rurale a été atteint[1] ?

Il est un fait qui démontre d’une manière formelle que ce n’est pas le sol qui manque au paysan, mais le paysan qui manque au sol. Dans nos campagnes, les hommes ne suffisent pas au travail de la terre, de sorte qu’au moment des semailles ou des moissons il faut faire appel à des travailleurs étrangers. Les Belges, dans le Nord, les Italiens, dans le bassin du Rhône, les Espagnols, dans le bassin de la Garonne, arrivent par troupes pour suppléer au nombre

  1. Si nous interrogeons la statistique, nous voyons que la France consomme annuellement 100 millions d’hectolitres de blé et que sa production est à peu près égale. Dans les très bonnes années, il y a un excédent d’exportation, en sorte que nous envoyons alors du blé à l’étranger, tandis que, dans les mauvaises années, il y a un excédent des importations. En l’année 1875, qui a été exceptionnellement favorable, il y a eu un excédent d’exportations de 1,574,422 hectolitres de blé. En l’année 1876, qui a été mauvaise, il y a eu un excédent d’importation de 17,225,293 hectolitres.