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sa chaumière vendue aux enchères, hante l’imagination du paysan et l’empêche de créer une nombreuse famille. S’il pouvait en toute sécurité transmettre le champ et la chaumière au fils aîné et laisser aux autres enfans le soin de gagner eux-mêmes leur existence, le paysan prendrait moins souci de l’avenir. Il n’aurait pas cette constante préoccupation de ne créer qu’un petit nombre d’enfans. Le partage de sa terre l’épouvante, et il aime mieux avoir une famille restreinte que de s’exposer au morcellement du patrimoine.


Quelque efficace cependant que nous supposions cette réforme, il en est une fondamentale, urgente, dont la nécessité prime toutes les autres, c’est celle d’une répartition plus équitable de l’impôt. On ne s’étonnera pas que nous établissions une relation entre la fécondité et l’impôt ; car la fécondité française n’est pas un phénomène physiologique, c’est un phénomène économique, et en changeant les conditions économiques des populations, on agira sur leur fécondité.

Or, dans l’état actuel des choses, le père de famille paie à l’état d’autant plus d’impôts que sa famille est plus nombreuse.

Il n’est pas difficile d’en donner une démonstration rigoureuse. Voici deux paysans, vivant de la même manière, dans le même village, et mariés tous deux, : l’un n’a pas d’enfans, et l’autre en a dix. Les dépenses que ce dernier est forcé de faire pour sa famille sont donc quatre ou cinq fois plus grandes que celles de l’autre. Sans doute, l’état n’y peut mais. Il ne peut pas faire que le pain, la viande, le vin, les vêtemens qui doivent suffire à douze existences coûtent moins cher que le pain, la viande, le vin, les vêtemens nécessaires à deux existences. L’état ne peut même pas diminuer les impositions indirectes pour le père d’une nombreuse famille. Ainsi, par suite du jeu normal de notre régime budgétaire, des charges inégales pèseront sur les deux paysans, car, pour les contributions indirectes (boissons, sel, sucre, allumettes, huile, savon, bougies, vinaigre, etc.) il est évident que, dans une famille de douze personnes, l’état percevra plus que dans une famille de deux personnes.

Mais ce qu’il faudrait à tout prix empêcher, et ce qui est une réforme relativement facile, c’est que les contributions directes (impôt foncier, cote personnelle et mobilière, impôt des portes et des fenêtres), pèsent également sur ces deux paysans. Je dis que cet état de choses est inique et funeste, et qu’un allégement des contributions directes devrait compenser l’augmentation des contributions indirectes que subit fatalement le chef d’une nombreuse famille.

Comment ! voilà deux individus dont les ressources et le travail