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que les premières, tout en étant les causes dont celles-ci sont les effets, ne sont pas semblables aux apparences qu’elles produisent. Les couleurs réelles correspondent terme pour terme aux couleurs apparentes ; mais en elles-mêmes, elles ne sont pas des couleurs : ce sont « les propriétés de la surface colorée qui, sous l’influence de la lumière ambiante, » produisent tels ou tels aspects. Enfin les couleurs subjectives (par exemple, ce qu’on appelle les phosphènes) sont des couleurs qui dépendent exclusivement de l’état de nos organes, c’est-à-dire de l’œil ou du nerf optique et qui peuvent être produites par des agens qui eux-mêmes ne sont pas lumineux : c’est ainsi qu’un coup de poing sur l’œil, comme on dit vulgairement, vous fait voir trente-six chandelles. Bref, pour résumer cette analyse, les couleurs ne sont que des phénomènes lumineux que nous objectivons par induction. L’auteur admet, en effet, complètement la théorie de Helmnoltz : c’est que toute localisation des sensations lumineuses est due à l’expérience et à l’induction ; il est « empiristique, » et l’on s’étonne qu’un partisan aussi décidé du sens commun et des faits primitifs de la nature humaine accorde aussi aisément qu’il n’y a rien d’inné dans nos perceptions visuelles, tandis que ce problème est bien loin d’être tranché parmi les savans. Car, s’il y a une école empiristique (c’est ainsi que l’appelle Helmholtz, son principal représentant) qui tend à tout expliquer dans la vision par l’expérience et l’habitude, il y a une autre école que le même auteur appelle nativistique (par exemple l’école de Héring) et qui cherche à expliquer les mêmes phénomènes par les lois de l’innéité. On est loin, en effet, d’avoir tranché la question de savoir si c’est par habitude ou par nature que nous voyons les objets simples, quoiqu’il y ait deux yeux ; droits, quoique les objets se dessinent sur la rétine d’une manière renversée ; que nous les plaçons à distance dans l’espace, tandis que nous les aurions vus primitivement sur un plan. Toutes ces questions, dis-je, ne sont pas tranchées, et c’est aller trop vite que de refuser à la vue toute perception objective de l’étendue.

En un mot, quoique nous soyons dans le fond plus subjectiviste que l’auteur, nous sommes plus objectiviste que lui en ce qui concerne la vue et peut-être même les autres sens ; et ces deux opinions n’ont rien de contradictoire. Quant à l’auteur, dans sa confiance absolue pour le seul sens autodidacte, à savoir le toucher, sûr d’y retrouver l’objectif quand il le voudra, il ne craint pas de faire les choses largement quand il s’agit de la vue. Il en reconnaît complètement la subjectivité, et c’est par là qu’il diffère surtout de l’école écossaise ; par là aussi il croit faire à l’idéalisme sa juste part ; il croit enfin se mettre d’accord avec la science sans se mettre en contradiction avec le sens commun : chose plus douteuse ; car faire