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le génie national se dégagera, sous le grand roi dom Manoel, cette origine bourguignonne laissera sa trace dans l’art portugais ; les souverains s’allieront tantôt à l’Espagne, tantôt à la maison de Bourgogne, et de ces doubles alliances il résultera un art mixte, difficile à classer. Le pays reste ouvert du côté de l’Espagne, nulle frontière ne l’en sépare ; il aboutit par ses ports à la Provence, à l’Italie, à l’Afrique ; il a de l’expansion avec le génie des aventures ; et c’est aux peuples de la péninsule que sera réservée la gloire d’écrire un nom sur la mappemonde là où, dans leurs portulans naïfs, les navigateurs du XVe siècle écrivent encore le mot « Brumes. »

Au XIIIe siècle, on combat pour la vie, au XIVe, quand on construit, on suit ce style romano-byzantin que nous avons adopté un siècle plus tôt, dans le midi de la France ; le jour où Jean Ier élèvera le monastère de Batalha, vaste ensemble de monumens religieux qui symbolise l’émancipation violente du Portugal, après la journée décisive d’Aljubarolta (1385), l’architecture affectera le caractère sec, froid et élégant du gothique anglais. Là encore, malgré la nationalité des artistes employés à l’érection du monument, c’est peut-être dans l’influence d’une alliance avec la maison de Lancastre qu’il faut chercher le secret du caractère imprimé au monument.

Mais c’est la Flandre qui aura la part évidente et l’action décisive ; Bruges compte déjà une colonie importante de négocians portugais, les relations sont constantes, les échanges vont être continuels ; en 1415, Jean sans Peur envoie des tableaux flamands à Jean Ier ; en 1429, Philippe III, duc de Bourgogne ; aspire à la main de sa fille et lui envoie une ambassade où figure Van Eyck, son valet de chambre, célèbre déjà comme peintre. Celui-ci laissera en Portugal de nombreux portraits, et ses œuvres exerceront une incroyable influence sur tout le XVe siècle. Les présens échangés, bijoux, pièces d’orfèvrerie, étoffes, tapis, panneaux, manuscrits enluminés, deviennent des modèles et des types, et comme chaque artiste, alors même qu’il copie ou imite, donne toujours à son œuvre quelque chose de sa personnalité, il résultera de là un art flamengo-portugais d’un caractère frappant et qu’on saura toujours reconnaître.

Les souverains du Portugal possèdent des manuscrits enluminés de cette période qui ont tout le caractère des Flandres et dont tous les détails, fonds d’architecture, paysages, costumes, mœurs, peintures des usages rustiques, indiquent qu’ils sont faits dans le pays. Les vitrines de l’exposition contiennent des nobiliaires et des livres de costume du même caractère, et nombre de panneaux portugais, qui figurent au palais de Pombal, attestent cette action des Flandres sur les ans du Portugal. La sculpture sera bourguignonne depuis le nord jusqu’au midi, à Porto, à Coimbra, à Santa-Cruz et à la