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pousses à cette épreuve par des influences frivoles plutôt que par une courageuse raison ; n’importe : je suis bien aise que l’expérience soit faite et qu’elle ait réussi ; même je ne verrais pas de mal à ce qu’elle fût renouvelée. Parcourez le volume qu’a publié récemment l’écrivain qui signe Gennevraye, — l’auteur de l’Ombra. Les lecteurs de la Revue se souviennent de cet esprit aisé, de cette science des sentimens qui décelaient une femme. Ils retrouveront l’un et l’autre dans le Théâtre au salon. C’est un recueil de douze petites pièces ou gaies ou touchantes : proverbes de salon ou drames en miniature. Je remarque un de ces proverbes : un Prêté pour un rendu, qui s’élève au-dessus du genre et touche à la comédie. L’idée en est hardie, neuve et parisienne ; elle a dû plaire assurément à l’auteur de la Visite des noces, et je conçois qu’il ait écrit la préface de ce volume. Supposez qu’un directeur adopte ce petit ouvrage et qu’il le glisse avant ou après une grande pièce : faudra-t-il se récrier contre l’invasion des amateurs ?

Non, non, le théâtre, ni la littérature, en général, ne doit être fermé aux gens de bonne volonté. Je sais des amateurs qui se nomment Michel de Montaigne et Charles de Montesquieu, l’un conseiller, l’autre président : ni les Essais pourtant, ni les Lettres persanes ne sont d’un sot ; j’imagine que ces magistrats auraient pu tourner un vaudeville. Les mémoires de Saint-Simon valent ceux d’un vaudevilliste, publiés par M. de Rochefort, le père du pamphlétaire, — marquis, il est vrai, mais cependant reconnu au café des Variétés pour homme de théâtre et non pour amateur. François VI, duc de La Rochefoucauld, prince de Mareillac, n’était pas homme du métier : ses Maximes pourtant sont aussi bonnes que les a nouvelles à la main » payées le plus cher par un journal du boulevard. Gens du monde et gens de lettres, ayons, s’il est possible, « des lettres » et « du monde : » les mœurs, qui font la vie agréable, et l’art, qui la fait noble, ne pourront qu’y gagner.


Louis GANDERAX.