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depuis Rubens jusqu’à Ingres, la peinture de portraits est une des formes du grand art.

M. Bonnat, dont l’œuvre sera l’iconologie des grandes figures de la fin du XIXe siècle, ajoute un nouveau portrait à sa galerie des contemporains : celui de M. Puvis de Chavannes. Les deux artistes ont appliqué le système de l’échange avec grand profit pour tous les deux et grand profit pour le public. M. Puvis de Chavannes a fait pour M. Bonnat un vaste panneau décoratif digne d’un monument, et M. Bonnat a peint avec tout son talent le portrait de son ami. Ce portrait est, avec celui de M. Thiers, le meilleur de M. Bonnat. On a donné beaucoup d’éloges à son Victor Hugo. Pour nous, nous y voyions le grand poète dans une expression soucieuse que n’a pas d’ordinaire sa physionomie. M. Puvis de Chavannes, vêtu d’une longue redingote noire, est debout, le corps de face, la tête de trois quarts et imperceptiblement renversée en arrière. La jambe droite se replie dans un mouvement très naturel sur la jambe gauche qui porte tout le poids du corps ; la main gauche, qui tient un gant, se pose à la hanche et la main droite s’appuie avec énergie, écrasant le pouce et l’index contre le bois, sur une table de chêne sculpté. Cette pose simple et mâle convient bien à M. Puvis de Chavannes, dont elle caractérise la nature. La tête, peinte d’une touche franche et puissante, a le relief et la couleur de la vie. C’est l’homme lui-même, avec son front large, ses yeux perçans, son nez accusé, sa moustache retroussée, sa courte barbe grisonnante, son teint coloré, sa physionomie ouverte où se marquent la bonne humeur et la volonté : Henri IV descendu d’un cadre de Porbus ou d’un Triomphe de Rubens. Le jour qui vient du haut et qui frappe le visage et se joue autour des pieds, accuse l’éloignement du fond frotté de bitume et fait avancer et tourner toute la figure.

M. Carolus Duran aime la couleur pour la couleur. Dans un portrait, il voit le costume non point avant la tête, mais en même temps que la tête. Il fait des portraits d’apparat où brillent les éclairs des blancs, les feux des rouges, les ors des jaunes, les lazulites des bleus intenses, et où luisent les chatoiemens des satins et les reflets des velours. A moins de penser comme ces gens qui s’offensent que Rubens soit trop coloriste, on ne saurait reprocher à Carolus Duran l’éclat de ses étoffes que s’il y sacrifiait la peinture des chairs et le dessin des traits. Il faut convenir que le Portrait de lady D. ne mérite pas ce reproche. Vous admirerez cette robe de satin vieil or à retroussis de peluche de même nuance, s’enlevant sur un rideau du plus superbe rouge, vous sentirez la justesse des rapports des tonalités entre la peluche et le satin, vous serez frappé de la hardiesse de la juxtaposition de ce jaune et de ce rouge vif ; mais