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sur l’autre au-dessous de la poitrine, les mains tiennent des gants et un éventail de plumes noires. L’ensemble de la figure se détache en relief, et le visage, empreint d’une rare distinction et modelé par des jeux savans de lumière discrète et de douces demi-teintes, est rendu dans la vérité et dans le charme souverain de la nature.

Après le portrait de Mme B.., par M. Cot, qui est un des meilleurs portraits de femme du Salon, nous parlerons du portrait de M. Henri Lavoix, par M. Gustave Popelin, qui est un des bons portraits d’homme. Vu à mi-jambes et assis sur un fauteuil de chêne, de style renaissance, M. Lavoix a dans la main droite un microscope et dans la main gauche une médaille d’or de grand module. Le corps est bien assis, naturellement et commodément. Cet homme ne prend pas une pose pour le peintre ; c’est le peintre qui a saisi cette pose à un moment où le conservateur des médailles de la Bibliothèque nationale causait numismatique avec lui. Pittoresquement fripée, la redingote noire a gardé l’empreinte des mouvemens du buste et des bras ; elle ne sort pas de chez le tailleur, elle tient à l’homme, comme la robe de chambre de Diderot. La tête qui émerge d’un grand col droit et raide, — cette fraise du XIXe siècle, — est modelée par larges plans et s’avance en plein relief. Les mains sont aussi dignes d’éloges : peintes avec la plus grande fermeté et sans la moindre hésitation, — sans peur et sans reproche. Ce qui frappe surtout dans ce beau portrait, c’est l’assurance et la décision de la touche. M. Gustave Popelin, qui vient d’entrer en loge avec le n° 1 pour le concours de Rome, est un tout jeune peintre ; il a déjà la sûreté de main d’un maître.

Qui donc disait que M. Henner ne sait peindre que les blondes ? Il nous paraît que Mme N.., dont voici le portrait, est brune. Qui donc disait qu’il enlève toutes ses figures sur un fond de bitume ou de vert sombre ? Il nous semble que voici pour fond une teinte plate de bleu vibrant qui est des plus lumineuses. Vêtue d’une robe de satin noir avec un fichu capucine croisé autour du corsage, Mme N… a les bras nus. La tête est très étudiée, on retrouve dans les chairs la chaude couleur et la morbidesse de Henner ; les yeux regardent avec une fixité d’une puissance extraordinaire. C’est encore là un superbe portrait. M. Humbert a perdu ses vertus de coloriste ; il ne peut manquer de les retrouver. En attendant, son Portrait de Mlle P.., qui a un joli sentiment, et son Portrait de Mme de R.., qui a une grande tournure, sont peints dans les tons passés des pastels que le soleil a vus de trop près. La rudesse du faire nuit au portrait de M. Fantin-Latour, et le maniérisme à ceux de MM. Giacomotti et Boutibonne. Le Portrait de Mme S… du B…, par M. Gabriel Ferrier, qui est d’ailleurs très intéressant comme facture, manque aussi de simplicité, avec son corsage de velours bleu foncé, brodé