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bruns, est entièrement noyé dans le clair-obscur, comme certaines têtes du Vinci. Cela est d’un charme profond et mystérieux.

Apres les portraits de femmes du monde, les portraits des comédiennes. Le public est plus à même de juger de la ressemblance. M. Ch. Giron a peint Mme Judic dans son costume du troisième acte de Lili. — On voit à notre précision que nous connaissons nos classiques ! — C’est bien l’engageant sourire de la diva des Variétés. Mais la facture est un peu molle et les tons criards de la robe à fleurs rouges qui s’adoucissent à la clarté de la rampe hurlent au jour franc du Salon. Ce n’est en somme qu’un portrait en décoration. Mlle Marguerite Ugalde a posé en travesti pour Mme Jacqueline Comerre-Paton, dont nous avons omis de signaler dans notre précédente étude la poétique et agréable Mignon. Quatre étoiles de première grandeur de la Comédie-Française, Mlle Sarah Bernhardt, Bartet, Baretta et Samary, sont personnifiées sous la figure des Quatre Saisons. On doit cette symbolique, dont le sens caché nous échappe, à Mlle Louise Abbéma. Il semble que cette artiste, qui a montré parfois plus de talent, ait peint avec du cold-cream et de la pommade rosat. Est-ce la forme de la toile divisée en quatre compartimens ou la facture creuse des figures et du décor qui inspire l’idée que ce tableau ferait un joli paravent pour le foyer des artistes de la Comédie-Française ?

Le petit portrait de M. Bastien-Lepage vaut mieux que son grand Bûcheron. Mais pour cela, nous ne nous rallions pas à l’admiration générale. Cette exécution peinée et précieuse, ce travail à la loupe, cette minutie dans les petits détails n’a rien qui nous émerveille. Et pourquoi M. Bastien-Lepage, qui reproduit si laborieusement la moindre ride, le moindre poil de sourcil, peint-il les accessoires du fond avec un pareil laisser-aller, avec un tel dédain de la forme ? Où a-t-il vu le couvercle d’un piano se profiler en ligne sinueuse et indécise, des bougies se contourner en tire-bouchons ? Il nous semble à nous que la matière a des arêtes autrement rigides et autrement précises que celles de la figure humaine. Les primitifs allemands que M. Bastien-Lepage a pris à tâche d’imiter, soignent dans leurs portraits les fonds et les objets à l’égal de la tête même. Ils atteignent ainsi à l’harmonie de l’ensemble, mérite dont M. Bastien-Lepage n’a malheureusement nul souci. MM. Haider, Gaillard, Badin, Dubois rivalisent comme détaillis tes avec le peintre du Père Jacques, Ils creusent et fouillent durement la pâte, ainsi que les sculpteurs le chêne ou l’ivoire ; dans leur main, le pinceau devient un ciselet. Mais ce prodigieux rendu du détail ne s’obtient qu’au détriment du relief et de l’aspect vivant. Ces portraits-là ont tout juste autant de vie que le fameux invalide à la tête de bois.

Où éclate la vie, où brille la couleur, où s’affirment la largeur de