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plaisir au sang des taureaux, des agneaux et des boucs, » que toutes les grimaces du culte fatiguaient, que les violences de la nouvelle loi indignaient et qui ne voulait plus qu’on dît : « Les pères ont mangé des raisins aigres et les fils en ont eu les dents agacées. « Pour la première fois une piété aimable, une charité délicate, un sentiment profond de compassion envers le pauvre et l’opprimé, je ne sais quoi de tendre et d’exquis qui annonce déjà Jésus, se font jour de toutes parts dans une race qui jusque-là n’avait montré que rudesse et égoïsme. Ennobli par le malheur, Israël sent son cœur s’adoucir et comprend à la fois le charme désespérances et des séductions matérielles. La conviction de sa supériorité intellectuelle le rassure sur l’avenir. Au milieu de l’oppression et des blessures de la guerre, le rêve d’une revanche éclatante et lointaine hante de plus en plus son imagination ; mais cette revanche ne s’y présente pas uniquement sous la forme de victoires militaires, de conquêtes accomplies par la force. Une révolution morale se prépare. La réparation est certaine : c’est au sein même de Juda que les grands empires qui l’ont écrasé viendront un jour chercher la vérité, c’est autour des vaincus d’aujourd’hui que se rangeront demain toutes les nations de la terre, c’est sous le sceptre de son Dieu que l’univers entier trouvera enfin le bonheur et la justice. Le monothéisme est créé, le messianisme va naître.

Il ne faudrait pourtant point se tromper sur le caractère et la portée de cette immense révolution, la plus grande peut-être à laquelle l’humanité ait assisté, parce qu’elle contenait en germe le christianisme et l’islamisme. L’unité divine, telle que les prophètes l’entrevirent, n’était point encore le monothéisme pur que le monde a connu plus tard. Jérémie, le premier, et après lui Isaïe ont exprimé la pensée que Yahveh est le Dieu éternel, à côté duquel il n’en existe point d’autre, auprès duquel tous les autres ne sont que des idoles vaines. Mais Yahveh n’en restait pas moins un Dieu strictement national, dont le culte ne devait se répandre que pour rassembler de tous les points du monde les croyans à Jérusalem. Les Hébreux n’opposaient pas une religion internationale, universelle, aux religions des peuples étrangers, ils se bornaient à leur opposer leur religion personnelle dans l’espoir qu’un jour ils s’y convertiraient et que, reconnaissant sa suprématie, ils n’hésiteraient pas à lui sacrifier leurs croyances particulières. L’unité ne résultait donc pas de la ruine de toutes ces nationalités, mais de leur absorption par l’une d’entre elles. Il faut arriver, je le répète, jusqu’à l’islamisme pour trouver un monothéisme strict., complet, indiscutable. Des deux grandes colonies religieuses que le judaïsme a fondées dans le monde, le christianisme et l’islamisme, la seconde est celle qui a