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le plus fidèlement continué ses traditions dogmatiques, tandis que la première a surtout conservé ses traditions morales. C’est à l’école des juifs et des judéo-chrétiens que Mahomet a créé l’islam, qui est en même temps une sorte de réaction contre les développemens métaphysiques et moraux du dernier mouvement religieux de la Judée et l’épanouissement normal, régulier de ce mouvement. Tombé dans une intelligence logique, dans un cœur sec, le dogme de l’unité divine, tout en se développant, devait amener un retour aux conceptions sévères du passé. Dieu, souverain unique, absolu, ne pouvait manquer d’être aussi complètement arbitraire ; on le dépouilla des vaines tendresses que lui avaient prêtées les prophètes et dont le caractère était trop manifestement humain. Son attitude envers le monde est hostile ; tout-puissant et omniscient, il se manifeste surtout par ses fantaisies, ses colères, et il récompense, et il punit suivant son gré, il endurcit le cœur de ceux qu’il veut perdre, il prédestine sans motif ceux qu’il veut sauver, et tout le monde doit trembler devant lui. Au lieu d’être la raison universelle des choses, il en est la cause universelle, mais brutale ; c’est sa volonté, non son intelligence et sa bonté qui dirigent le monde. De là cette condamnation de la science, cette réprobation de la pensée qui ont fini par perdre toutes les civilisations musulmanes. De là aussi ce réveil du prophétisme sous une forme dégénérée, seule raison d’être de Mahomet. L’islamisme n’admet pas le messianisme, car il est impossible qu’un Dieu aussi élevé que le sien au-dessus de l’humanité, consente à s’abaisser jusqu’à elle. La monarchie divine obéit à une étiquette plus sévère. Dieu s’y révèle d’une manière solennelle, mécanique, par l’entremise de ses prophètes, aux paroles desquels on doit se soumettre aveuglément comme à des ordres sans réplique.

Il y a loin de ce monothéisme abstrait au monothéisme panthéiste des Aryens, qui considère toutes les divinités comme de simples noms, comme des manifestations de l’unité supérieure des choses, mais on doit le regarder comme le dernier résultat des conceptions sémitiques. Tandis que l’Aryen n’a jamais su détacher complètement sa personnalité du milieu qui l’entoure et a vu, à bon droit, dans l’univers, une immense combinaison de forces qui entrent sans cesse en lutte, qui s’engendrent mutuellement et dont les innombrables transformations produisent tous les phénomènes, le Sémite s’est séparé peu à peu de la nature, et, la considérant comme étrangère à lui, en est venu à en chercher l’origine dans une cause qui la dominât et qui le dominât également lui-même. C’est ainsi qu’il a conçu la notion de Dieu, créateur suprême, isolé du monde, qu’il façonne comme un vase entre les mains du potier. Le despotisme