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plaines chargées de fleurs, horizons transparens ; lac charmant où tous les prestiges du royaume céleste se sont réfléchis ; sommets où éclatait la voix des prophètes ; collines vertes où Jésus semait à profusion, parmi les groupes d’enfans et de femmes, les paroles de vie et les promesses éternelles ; champs fertiles où germaient, à côté des plus riches moissons, les plus nobles croyances ; fontaines célébrées par la muse biblique où les jeunes filles se pressent encore, comme autrefois, au déclin du jour, portant sur leurs têtes des urnes élancées ; sentiers, torrens, rochers, abîmes qui tous avez vu passer Dieu ! vous êtes bien réellement la terre paternelle et sainte, vous êtes bien réellement la patrie ! En vain le monde s’est éloigné de vous et vous a oubliés ; en vain les illusions de l’âme se sont dissipées devant les réalités de la nature, en vain les rêves que vous aviez fait naître ont été suivis de réveils cruels, en vain l’humanité, fatiguée de croire, a essayé de savoir et n’a trouvé, comme Salomon, au fond de toute science que misère et dégoût. L’impression que vous avez laissée dans nos consciences ne s’effacera pas, le bien que vous avez créé survivra à tous les désenchantemens. Nul ne sait ce que sera l’avenir ; les prophètes se taisent à bon droit, car leurs déclamations ne rencontreraient qu’ironie et leur tristesse ne serait point comprise. Peut-être le cantique des anges ne retentira-t-il jamais plus sur nous, peut-être l’idéal de l’évangile s’évanouira-t-il dans de puissantes, mais sombres vulgarités. Qu’importe ! tant qu’une lueur divine brillera dans les cœurs, c’est vers vous que se tourneront les regards qui cherchent l’aurore de la délivrance, de l’amour, de la liberté, et, à supposer que cette dernière chimère s’évanouisse aussi, que le scepticisme l’emporte définitivement, que tous les autres hommes enfin vous méconnaissent ou vous dédaignent, ceux qui ont passé par de telles épreuves qu’il ne leur reste plus rien à attendre de ce monde et que la vérité n’a pour eux que des angoisses, iront vous demander encore quelque soulagement. Terre de la résignation et du sacrifice, il y aura toujours des malheureux pour venir pleurer sur votre sein !


GABRIEL CHARMES.