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paix bienfaisante et féconde entre toutes, et cela sans qu’il en coûtât au gouvernement issu de la révolution d’autre sacrifice que l’affirmation d’un fait évident.

A dire vrai, cette affirmation, en apparence assez innocente, impliquait un changement radical. Elle signifiait qu’au lieu de traiter l’église en ennemie, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, le premier consul avait résolu de lui rendre tout son domaine spirituel, sauf à prendre ses précautions pour l’y maintenir. C’était fort simple, simple comme le sont d’ordinaire les grandes choses, et pourtant c’était une révolution complète. — Où le directoire s’était appuyé sur un prétendu clergé national, conduit par des intrigans ou des sectaires, et sur une minorité composée d’anciens conventionnels incorrigibles, de jansénistes rageurs, de théophilanthropes ridicules, de savans athées et de généraux esprits forts, le nouveau gouvernement s’adressait au cœur même de la nation et se plaçait résolûment à la tête de l’immense majorité des Français.

Telle était, dans la pensée de Bonaparte, la portée du concordât, et telle en est encore aujourd’hui la haute signification. Depuis quatre-vingts ans qu’il sert de règle à nos gouvernans, dans leurs rapports avec le saint-siège, il n’a rien perdu de sa force. Seulem.ent, et c’est ici l’essentiel, pour qu’il produise tous ses résultats utiles, pour qu’il sorte, comme disent les jurisconsultes, son plein et entier effet, il ne suffit pas d’en observer la lettre, il faut encore en respecter l’esprit.

Or le gouvernement actuel est-il bien pénétré de cette vérité ? Si l’on s’en rapportait à ses affirmations, et si l’on pouvait se fier aux assurances de ses amis[1], on devrait le penser. Qui ne se souvient de la déclaration placée par le ministre actuel de l’instruction publique en tête de son projet de loi sur la réorganisation des conseils universitaires : « Messieurs, le projet de loi que nous soumettons aux délibérations des chambres n’est ni une loi de circonstance, ni une œuvre de parti ; c’est l’acte d’un gouvernement soucieux des droits de l’état, et qui s’est donné pour tâche de restituer à la chose publique, dans le domaine de l’enseignement, la part d’action qui doit lui appartenir, et qui va s’amoindrissant, depuis bientôt trente ans, sous l’effort d’usurpations successives. » Et plus récemment encore, à la tribune du sénat, M. Jules Ferry ne s’écriait-il pas : « Oui, Messieurs, notre politique est comme la nation française ; elle est anticléricale, mais elle n’est pas irréligieuse.

  1. M. Paul Bert disait en 1874 : « Je suis partisan de la liberté d’enseignement avec toutes ses conséquences ; je veux indiquer par là la liberté de la collation des grades. » M. Brisson, en 1872, disait de même : « Ni de ma part, ni, j’en suis bien convaincu, de la part d’aucun des membres qui siègent sur les mêmes bancs que moi, ne s’élèvera la prétention de faire revivre des lois répressives de la liberté des associations religieuse. »