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métaphysique ne stimulait pas, qu’il s’en doute ou non, l’activité d’esprit de l’expérimentateur, la science ne serait pas la science, elle ne serait que l’art d’utiliser les forces naturelles pour le profit de nos plus grossiers instincts. Mais si la critique ne nous enseignait pas la défiance de nous-mêmes, du propre témoignage de nos sens et de l’infirmité de notre raison ; si nous n’avions pas appris d’elle et de ses délicates méthodes à discerner le douteux d’avec le probable et le probable d’avec le certain ; si nous n’avions pas, enfin, reçu de ses leçons cette préparation d’esprit nécessaire à l’intelligence des découvertes elles-mêmes de la science expérimentale, M. Pasteur, avec tout son génie, ne serait qu’un alchimiste, et nous croirions encore avec le poète que les abeilles naissent du sang corrompu des taureaux égorgés :

:……. . . . liquefacta boum per viscera toto
: Stridere apes utero et ruptis effervere costis.


Je n’examinerai pas si M. Renan n’aurait pas pu pousser plus à fond sa riposte. Il nous suffit que, touché au vif par l’attaque de M. Pasteur, nous l’ayons vu comme s’éveiller de son scepticisme habituel. Mais c’est qu’en réalité M. Renan croit à plus de choses qu’il n’en a l’air. Il a bien voulu faire à M. Pasteur, publiquement, sa confession philosophique et la confession, à ce qu’il semble, est en effet bien d’un sceptique. Mais si nous tâchions à notre tour de dresser son Credo, que de choses auxquelles croit fermement ce libre esprit ! et sous l’ironie de son dilettantisme, comme sous l’enveloppe de ce que l’on appelle sa virtuosité, que le nombre serait petit des vérités vraiment nécessaires auxquelles nous le trouverions vraiment incrédule ou même vraiment indifférent ! Et c’est pour n’avoir pas craint, dans son discours en réponse à celui de M. Cherbuliez, d’affirmer plus délibérément qu’il ne lui est ordinaire que nous mettons de beaucoup ce second discours au-dessus du premier, et d’autant, si je puis ainsi parler, que l’éloquence qui affirme est au-dessus de l’esprit qui nie… pour nous autres du moins, faibles intelligences et dogmatisans convaincus.

On a fait amicalement le reproche à M. Cherbuliez, qu’avec une modestie qui l’honore sans doute, mais dont nous ne pouvons nous défendre de lui en vouloir un peu, il ne s’était pas mis assez en peine de faire valoir lui-même ce jour-là tout son prix. Il est certain que rarement récipiendaire s’est plus discrètement comme effacé dans l’ombre de l’immortel qu’il remplaçait. Le peintre de ce beau portrait de M. Dufaure s’est livré si complètement, avec une probité d’artiste si sincère, je n’oserais dire au charme, mais du moins à la vigoureuse originalité de son modèle, qu’il s’en est évidemment oublié lui-même. Tout occupé de saisir, et tout attentif à retracer cette physionomie de