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bourgeois puissant, M. Cherbuliez ne s’est plus rappelé que nous attendions l’auteur du Comte Kostia, de Ladislas Bolski, de Meta Holdenis, de Miss Rovel, de tant d’œuvres encore également fortes et gracieuses, à nous parler de son art. Il nous en avait cependant presque donné la promesse, quand au début de son discours il s’excusait, lui, « romancier, très épris de sa profession, et de tout ce qui la concerne » d’avoir à prononcer l’éloge « d’un maître du barreau et de la tribune, six fois ministre. » Mais ce n’était que de la coquetterie. M. Cherbuliez se réservait de prouver qu’un « simple homme de lettres » peut s’entendre à la politique, et qu’un romancier valait même un député pour louer dignement M. Dufaure. Qu’il y ait réussi, nous ne l’apprendrons à personne. L’Académie, comme l’a dit M. Renan, savait ce qu’elle faisait, et les lecteurs de Valbert n’avaient pas d’inquiétude. Le portrait de M. Dufaure vit et vivra comme une des belles pages qui soient sorties du pinceau de M. Cherbuliez. La ressemblance y est, ou plus encore, et mieux, le caractère, qu’il est si rare que les peintres attrapent. Et c’est à peine si quelques touches, trop spirituelles, trahissent de ci de là le défaut coutumier, l’heureux défaut du peintre. Notre métier est d’être difficile.

Ceux qui croient toutefois que le grand attrait des discours académiques est d’entendre quelquefois le poète, l’auteur dramatique, le romancier, l’historien, le philosophe, le critique y donner des leçons de leur science ou de leur art, ne regretteront pas moins, tout en admirant le portrait, que M. Cherbuliez se soit montré si discret sur lui-même. N’avez-vous pas, en effet, remarqué que parmi les discours académiques ce n’étaient pas les meilleurs, tant s’en faut, qui devenaient promptement classiques, mais ceux précisément où l’orateur, comme Buffon traitant du style et comme Thiers traitant de l’histoire, avaient pendant une heure entretenu le public de ce qu’ils avaient l’un et l’autre pratiqué supérieurement ? Je m’imagine, sans doute parce que je In désire, qu’à mesure que l’éloquence académique, dépouillant de plus en plus son antique solennité, se rapprochera de plus en plus de l’éloquence d’affaires, les discours se rempliront à mesure et s’enrichiront de ces sortes d’enseignemens.

L’intérêt, dans la circonstance, eût été d’autant plus vif que M. Cherbuliez était, si je ne me trompe, le premier romancier, depuis M. Feuillet, que l’on recevait à l’Académie française ; et d’autant plus considérable que M. Renan s’est montré vraiment un peu sévère, en avançant, comme il l’a fait, que « l’illusion des faiseurs de Cyrus et d’Astrées était de supposer qu’on eût le temps de les lire. » Le temps de les lire ! Ah ! que si M. Renan eût interrogé ses confrères, et non-seulement de l’Académie française, mais de l’Académie même des inscriptions et belles-lettres, il eût rencontré d’hommes graves qui ne sont pas en peine, parmi toutes leurs autres occupations, de le trouver, ce temps