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conseil du 14 novembre et le président du conseil du 30 janvier à propos des affaires d’Egypte. On a eu un moment un duel curieux, saisissant, visiblement provoqué avec intention entre la « politique d’aventures » attribuée à M. Gambetta et la politique infiniment plus modeste, plus résignée de M. de Freycinet. La rupture a été éclatante. Hier encore, M. le ministre de l’intérieur, en défendant ses projets de décentralisation, sa loi sur l’élection des maires dans une ville de l’Ouest, où il était en voyage, a lancé quelques traits acérés contre ceux qui lui « opposent si bruyamment aujourd’hui la politique d’autorité et qui non-seulement manquent à leurs doctrines, mais méconnaissent les véritables intérêts de la France. » L’allusion était transparente et allait droit à M. Gambetta, à sa politique et à ses amis.

Il est certain qu’on a beau jeu, avec ce ministère du 14 novembre, que M. Gambetta, comme chef de cabinet, n’a pas laissé de brillans souvenirs. Il a été une immense déception, et ce qu’il y a de plus dangereux pour lui, ce qui fait qu’il est tombé sans doute pour longtemps, qu’il reste, dans tous les cas, avec une autorité politique singulièrement diminuée, c’est que même encore aujourd’hui il ne se rend peut-être pas compte des causes de sa chute. Il serait prêt à recommencer, à choisir des collègues aussi sérieux que ceux du 14 novembre, à reprendre les mêmes projets, à commettre les mêmes fautes. Que le nouveau cabinet tînt à ne pas ressembler à cet étrange prédécesseur, qu’il voulût avoir une politique supérieure ou différente, à la fois plus libérale et plus mesurée, ce serait assurément ce qu’il aurait de mieux à faire ; mais c’est là justement la question ! Est-ce que le ministère d’aujourd’hui est si différent de celui qui l’a précédé ? Est-ce qu’après tout il ne suit pas la même politique avec quelques faiblesses ou quelques confusions de plus ? Est-ce que, sous prétexte de retenir autour de lui toutes les fractions d’une majorité incohérente, il ne livre pas au hasard des prises en considération, et l’organisation administrative, et le concordat, et les institutions militaires, et les institutions judiciaires ? Et ce qu’il y a de plus curieux ou de plus instructif, c’est que, même en se prêtant à tout, même en multipliant les concessions, il ne réussit pas à satisfaire cette majorité, à exercer sur elle quelque influence, à se garantir des échecs de scrutin à propos de toutes les fantaisies réformatrices. Il livre tout et il n’obtient rien.

On vient de le voir une fois de plus avec cette loi de prétendue réforme judiciaire qui, depuis quelques jours, a occupé et occupe encore le parlement, qui semble déjà destinée à se perdre dans le tourbillon des œuvres ambitieuses et stériles, après avoir soulevé sans profit toutes les questions. M. le garde des sceaux, Humbert, a cru sans doute simplifier la réforme en la limitant et gagner la faveur de la chambre, s’assurer une majorité en offrant une satisfaction à des