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C’est vraiment là ce que nous font penser beaucoup de statues qui, sans idée et sans aucun sentiment de ce que l’on nomme la forme, ne sont que la reproduction affaiblie de modèles accueillis sans choix : et cependant elles se donnent des noms de nymphes, de dieux et de déesses ! Il faut de la volonté et un heureux instinct pour réagir contre l’entraînement qui porte l’artiste à tout attendre de la nature. Heureusement plusieurs de nos sculpteurs, avec des talens divers et à des degrés différens, lèvent la tête au-dessus du courant. Un débutant, croyons-nous, M. Daillion, a fait sous ce titre, le Réveil d’Adam, une figure qui, chose rare, indique une aspiration très haute. Les peintures de la chapelle Sixtine l’ont un peu préoccupé, mais il n’y a en lui aucune ambition d’imiter. Il a fait sur un mode vrai, mais puissant, une étude dont on peut louer l’unité, le caractère soutenu et surtout la tendance. L’Aurore de M. Delaplanche est une œuvre élégante et forte à la fois. Nous n’en avons encore que le plâtre, mais il nous promet un beau marbre. En même temps, M. Falguière, avec une souplesse qui fait songer au Corrège, a modelé une figure de Diane qui, malgré sa fière altitude, ne répond peut-être pas absolument à l’idée que l’on doit se faire d’une déesse vierge, de la chasseresse mystérieuse qui fuit les regards profanes ; mais du moins elle nous montre sous un aspect nouveau le talent de son brillant auteur. Au point de vue de l’entente de la forme et du style, les ouvrages qui nous semblent les plus dignes d’attention au Salon de cette année sont ceux de M. Chapu et de M. Idrac. Le premier n’est plus à louer, et nous sommes heureux de revoir le beau Génie de l’immortalité, qu’il a sculpté pour le tombeau de Jean Reynaud. Quant à M. Idrac, il a envoyé deux statues qui donnent l’idée la plus avantageuse de son mérite. L’une représente l’Amour piqué, vaguement inspiré d’Anacréon, mais qui, sans aucun pastiche, offre un ensemble qui n’est pas indigne de l’antique. Sans doute, on y trouve par places quelques rondeurs, surtout dans les extrémités. Mais, tel qu’il est, cet ouvrage représente une école excellente et qu’il faut d’autant plus encourager qu’elle pourrait disparaître. Salammbô, le second travail de M. Idrac, ne témoigne d’aucune préoccupation archéologique ou ethnographique ; il est même un peu trop dépouillé du caractère que réclamait le sujet. Mais c’est une étude d’un type agréable, d’un mouvement souple et charmant. Elle ne rappelle que par une sorte d’allusion l’héroïne de Flaubert au moment où celle-ci approche amoureusement de ses lèvres la tête d’un serpent. L’harmonie des formes est parfaite : soutenues et pleines, elles sont vraiment sculpturales. Loin de nous la pensée de prétendre que la sculpture soit une convention absolue. Mais disons cependant qu’elle n’est un art qu’à la condition qu’elle diffère de la simple nature. Ce