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que l’on appelle la forme consiste dans un état que crée le sculpteur ou le peintre et qui, par la plénitude, l’accentuation et la force, est supérieur à la réalité. Il faut l’avouer, ces qualités sont rares, aujourd’hui, et leur absence fera sûrement reconnaître nos œuvres dans l’avenir.

Jusqu’ici le Génie de l’immortalité et l’Amour piqué sont au Salon les seuls ouvrages dans lesquels la forme concoure à l’expression de la pensée. En général, les sculpteurs sont peu soucieux d’établir cet accord. Ceux même qui ont le plus de talent montrent à cet égard une certaine indifférence. C’est le cas de M. Hugues qui, après avoir composé un beau groupe représentant Œdipe à Colone, n’a pas assez cherché à lui donner le caractère héroïque. Le personnage d’OEdipe est fort ancien ; cependant sa destinée est si émouvante qu’on est toujours certain de nous intéresser en nous le montrant, et cela aussi bien à l’exposition qu’au théâtre. M. Hugues a parfaitement représenté l’aveugle inquiet et tourmenté, que la destinée accable. Antigone est près de lui : tous deux se sont assis sur une pierre. Lui, semble l’interroger encore. Elle, dans un mouvement du plus noble abandon, repose sa tête sur l’épaule du vieillard et lui répond. Les mains jointes, elle lève vers lui un regard plein de sollicitude et de tendresse. Cela est bien compris et d’un sentiment profond. Mais pourquoi le nu et les ajustemens répondent-ils si imparfaitement au sujet ? Ce sujet, c’est Sophocle qui l’a créé. Il y a mis sa marque : on ne peut plus la changer. Mais que manque-t-il donc à l’ouvrage de M. Hugues ? Le personnage d’Œdipe est pour ainsi dire composé sur le texte de la tragédie. En vérité, il n’y a rien ici qui ne puisse se justifier par une citation. Voilà bien « la roche grossière » sur laquelle l’exilé et sa fille s’assoient dans le bois sacré des Euménides. Œdipe nous apparaît, tel que va bientôt le retrouver Polynice, « sous des vêtemens qui, vieillis sur son vieux corps, le souillent de leurs lambeaux… Son front privé de la vue est à peine garni de cheveux épars, jouets du vent… » Il n’est pas jusqu’à la position des pieds, ramenés en arrière, qui ne puisse s’expliquer par quelques mots que le chœur dit au commencement de la pièce. C’est tout un assemblage d’indications puisées à la source véritable. Et malgré cela, l’idée du sujet n’est pas rendue. Il y a dans l’Œdipe à Colone un côté solennel, mystérieux, sacré que nous n’apercevons pas dans l’œuvre du statuaire. Et puis tous les traits qu’il a réunis sont épars dans le texte : résumés, ils prennent une intensité qui n’est pas d’accord avec le caractère de la tragédie. Par leur nature, ils sont moins conformes au génie de Sophocle qu’à celui d’Euripide. Pour apitoyer sur le sort de ses personnages, Euripide se plaisait à les