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l’habileté ? La France ne serait pas restée moins puissante parce qu’elle se serait abstenue, parce qu’elle aurait conservé sa liberté. Elle eût été bien plus fidèle à ses traditions en demeurant en dehors de tout ce qui accablait et affligeait un empire allié. Elle ne pouvait évidemment trouver aucun profit à paraître au premier rang dans la campagne de Dulcigno ou dans les négociations helléniques. Elle avait à la vérité des intérêts en Égypte et elle se rencontrait particulièrement avec l’Angleterre pour la protection de ces intérêts : c’était une raison de plus pour garder les moyens d’exercer l’utile ascendant d’une alliée à Constantinople au lieu de livrer l’empire ottoman à d’autres influences et de contribuer à le placer dans cette situation où il cherche à reconquérir les régions musulmanes. Au fond, cette politique de coopération dans les nouveaux arrangemens de l’Orient n’a servi à rien. Elle n’a été pour nos cabinets qu’un mirage d’action. Elle ne nous a donné aucune autorité nouvelle et elle nous a créé, au contraire, des difficultés de plus justement dans ces affaires d’Égypte où semblent se concentrer pour notre politique les méprises et les déboires, où la France, après avoir tout essayé, est exposée à tout subir.

Comment s’est noué et précipité ce drame ou cet imbroglio égyptien ? C’est certes assez intéressant, et ces documens qui viennent d’être mis au jour sont aussi animés qu’instructifs. Ils montrent à l’œuvre, dans une action rapide de quelques mois, toutes les politiques, tous les gouvernemens, l’Angleterre et la France, les autres puissances de l’Europe, la Turquie elle-même, et ce qu’ils ne disent pas, ils le laissent deviner. Que M. Gambetta, dès son entrée au pouvoir, ait eu le vif sentiment des intérêts français en Égypte et qu’il ait cru le moment venu de jouer une grande partie, c’est évidemment ce qui ressort de tous ses actes comme de son langage. Il a trouvé les affaires déjà singulièrement troublées au Caire ; il a compris que si on laissait courir les événemens, on se livrait au hasard, que cette révolution militaire ou nationale, qui s’accomplissait en Égypte, menaçait tout un ensemble de choses dont l’Angleterre et la France s’étaient constituées les gardiennes, et il a voulu agir d’intelligence avec le cabinet de Londres. Il l’a dit dans une vive conversation avec lord Lyon » ; il a inauguré sa diplomatie par un exposé parfaitement net dont la conclusion était qu’il y avait, pour les deux gouvernemens, nécessité de s’entendre sur les moyens de prévenir une crise, si on pouvait l’empêcher, ou d’y remédier, si elle devenait inévitable. C’était clair, c’était une politique qui n’avait rien que de plausible. Encore cependant aurait-il fallu se rendre compte de tout ce qu’il y avait dans une situation si étrangement compliquée, surtout éviter de s’abuser sur la nature, sur la portée possible de cette action proposée à l’Angleterre, et c’est là visiblement ce qui a manqué ; c’est là que le chef du cabinet