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ottomane, du Turc, pour l’appeler par son nom. Nous ne voudrions sûrement pas faire des comparaisons déplacées ou pénibles, qui ne seraient qu’un futile jeu d’esprit. Il y a pourtant un fait qui pourrait donner à réfléchir. Voilà un empire qui, à une date bien récente encore, a passé par les plus horribles épreuves de la défaite et du démembrement. Il a perdu des provinces, des territoires, ses frontières, ses places fortes. Il a subi les traités les plus durs, les plus humilians. Il en est encore à payer son indemnité de guerre aux Russes. Moins de quatre ans sont passés depuis le traité de Berlin, et déjà, en dépit de ses barbaries intérieures, de ses délabremens financiers, de ses incohérences, cet empire vaincu et dépouillé se retrouve en état de jouer un rôle. Il essaie de ressaisir des provinces qui lui ont échappé depuis longtemps. Il a des alliances, même une alliance puissante, qui le soutiendra tant qu’elle y sera intéressée ; il a une politique qui ne laisse pas d’être ambitieuse et embarrassante : il oblige les gouvernemens de l’Europe à compter avec lui. Il fait, en un mot, une sorte de figure pour le moment ! La France est certes supérieure à cet empire turc par la civilisation, par la culture, par les arts, par la prospérité matérielle. Qu’est-ce à dire cependant ? Il y a douze ans déjà qu’elle a éprouvé aussi les plus cruels revers, et elle n’est malheureusement pas encore ce qu’elle pourrait, ce qu’elle devrait être dans le monde. Qu’on laisse de côté les Turcs, qu’on se rappelle ce qu’était la France elle-même, la France de la restauration douze années après les désastres de 1815 ! Elle avait fait l’expédition d’Espagne, malgré Canning ; elle faisait la campagne de Morée ; elle allait faire la conquête d’Alger sous les yeux de l’ombrageuse Angleterre. Elle était écoutée dans les conseils de l’Europe ; elle avait des alliés et du crédit. Aujourd’hui, il faut oser dire toute la vérité : la France n’a retrouvé ni position ni influence ; elle souffre du temps perdu. Elle est moins avancée dans sa réorganisation militaire qu’elle ne l’était il y a sept ans, à ce moment de crise où elle fut sur le point d’avoir à se défendre contre une invasion nouvelle, et elle est moins avancée non parce que les bonnes volontés sont en défaut, parce que le courage manquerait devant l’ennemi s’il le fallait, mais parce que des sectaires, de vulgaires agitateurs se plaisent à faire de l’armée l’objet de leurs expérimentations. Pour la première fois, elle s’est engagée récemment dans une affaire diplomatique de quelque importance ; elle a voulu soutenir des droits, des intérêts sérieux, et on ne peut pas dire vraiment qu’on l’ait conduite à une brillante campagne. Notre gouvernement ne flatte pas l’orgueil national ; mais quoi ! la France n’a-t-elle pas d’autres soins ? ne lui fait-on pas de plus généreuses occupations ?

Tandis que les autres nations font leurs affaires dans le monde, nos pouvoirs, nos partis ont une manière à eux de relever la France. Ils sont tout entiers à leur œuvre intérieure, à leurs réformes, à leurs