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traversât le théâtre pour venir, devant les Macédoniens assemblés, s’asseoir, dans son costume de danseur, aux côtés du roi. » Et les Macédoniens, si chatouilleux d’ordinaire, quand il s’agissait de la moindre faveur accordée aux Perses, auraient applaudit « Ils criaient au roi, dit Pintarque, d’embrasser Bagoas et ne furent satisfaits que lorsqu’Alexandre eut donné à Bagoas un baiser. »

Dans ce pêle-mêle étrange, comment discerner la vérité ? La chose ne laisse pas d’être assez difficile, j’en conviens ; elle eût peut-être moins embarrassé le grand naturaliste qui ne demandait qu’un fragment authentique des animaux gigantesques dont la race a depuis longtemps disparu, pour les faire revivre à nos yeux dans leur intégrité. Que n’essayons-nous d’appliquer la méthode de Cuvier à l’histoire ? Plus d’un monstre moral qui, par ses égaremens, rompant la chaîne des êtres, semble accuser la puissance créatrice de déroger, quand il s’agit de l’homme, aux lois qu’elle s’est tracées, irait, après un plus mûr examen, rejoindre l’hippogriffe et le dragon ailé dans le domaine des fables. La nature a rarement l’imagination malsaine ; les chroniqueurs que consultèrent Diodore de Sicile et Pintarque l’eurent souvent.

Alexandre était redescendu de Pasargade à Persépolis, quand il prit le parti d’envoyer Orxinès au supplice. La Perside n’avait pas été facile à conquérir ; il n’était guère moins difficile de la gouverner : pour remplir le rôle jadis dévolu au Perse Phrazaorte, une main ferme et un esprit délié ne seraient pas de trop. Alexandre donna pour satrape à la Perside Peuceste. Le choix faisait honneur au discernement d’Alexandre. De tous les Macédoniens, Peuceste était celui qui se montrait le plus franchement disposé à seconder les projets du roi. Au lieu de mettre son orgueil à humilier les vaincus, il ne voulut songer qu’à gagner leur confiance : il apprit leur langue, adopta leur costume et se plia si bien à toutes leurs habitudes que les Perses finirent par se montrer fiers d’avoir ainsi conquis un de leurs vainqueurs.

Les exécutions cependant se succédaient : un hardi prétendant, Bariax, avait ceint la tiare droite et pris le titre de roi des Perses et des Mèdes ; livré par Atropatès, satrape de la Médie, Bariax eut le sort d’Orxinès. Abulite, le satrape de la Susiane, et son fils Oxathrès payèrent également de leur tête les malversations qu’ils avaient commises. L’ordre renaissait partout sous les pas du roi, et les rigueurs que les historiens, d’un commun accord, ont flétries, trouvaient pour complices, non pas des courtisans dont l’approbation eût été suspecte, mais des peuples réclamant justice et appelant de tout leur espoir cette sévérité nécessaire.

Que pouvait-il donc manquer encore au fils de Philippe pour