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qu’il crût son empire sur les Perses à jamais affermi ? Il lui manquait ce qui fit défaut à Napoléon, demi-dieu parvenu, qui regrettait à si juste titre de n’être que le fils d’une révolution dont la hache sanglante venait de s’abattre sur le front des rois ; il lui manquait cette chose presque indéfinissable, cette force mystérieuse pour laquelle, quand on voulut raffermir le monde ébranlé sur sa base, il fallut introduire dans la langue politique un mot nouveau ; il lui manquait la légitimité. Durius Codoman, fils d’Arsane et petit-fils d’Ostanès, ne descendait pas en ligne directe des Achéménides, mais il se rattachait à eux par les liens du sang ; l’époux de Roxane pensa qu’il lui restait à faire un dernier sacrifice à la nation vaincue : à peine entré dans Suse, au mois de février de l’année 324 avant Jésus-Christ, Alexandre y célébra son mariage avec la fille aînée de Darius, — Barsine, suivant Arrien, Statira, si nous préférons nous en rapporter au témoignage de Diodore de Sicile et à celui de Plutarque. — Des considérations analogues portèrent Napoléon à demander la main d’une archiduchesse d’Autriche. Répudier Joséphine, indisposer Roxane sont des actes que les préoccupations d’un souverain excusent, mais que la secrète justice du sort ne ratifie pas toujours. A la recherche de tout ce qui pouvait associer son nom au souvenir de l’antique dynastie et mêler son sang à celui des Achéménides, Alexandre finit par découvrir, au dire d’Aristobule, une autre princesse plus légitime encore que l’arrière-petite-fille d’un frère d’Artaxerce : il épousa Parisatis, la plus jeune des filles d’Ochus. La coutume des Perses le conviait, rappelons-le ici, à ces noces multiples, car elle exigeait que les rois eussent au moins quatre épouses. Nous n’avons cependant pour garant du troisième mariage d’Alexandre que le témoignage d’Aristobule. On ne retrouve pas de trace de Parisatis dans l’histoire ; la fille de Darius en a laissé une : — trace lugubre qui nous montre bien les mœurs féroces du temps. Aussitôt après la mort d’Alexandre, « Roxane, dit Plutarque, attira auprès d’elle Statira et sa sœur. Assurée de la complicité toute-puissante encore de Perdiccas, elle fait sur-le-champ mourir les deux princesses et jeter leurs corps dans un puits que l’on comble. » Si Parisatis fût entrée au même titre que Statira dans la couche royale, Roxane, à coup sûr, par ce que nous connaissons d’elle, ne l’eût pas laissée vivre. La déposition d’Aristobule ne paraît donc pas suffisante pour établir un fait que les autres historiens ont passé sous silence.

« Épousez des Allemandes ! » disait Napoléon à ses généraux dans la première ivresse d’une union qui flattait son orgueil, mais qui fut loin de faire asseoir le bonheur à son foyer. « Épousez, comme moi, des femmes perses, » dit Alexandre à ses compagnons d’armes.