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Ces femmes, il les choisit lui-même pour ses amis et pour ses principaux lieutenans ; autant que possible, il tint à les choisir de sang royal. Éphestion eut Drypetis, la propre sœur de Statira ; Cratère épousa la fille d’Oxyarte, Amastrine ; — cet Oxyarte était un des frères de Darius. A Perdiccas Alexandre donna la fille d’Atropatès, le satrape de la Médie ; à Ptolémée Artacama, une des filles d’Artabaze ; à Eumène Artomis ; à Néarque la fille de Mentor ; à Séleucus celle de Spitamène. Quatre-vingts hétaïres furent unis le même jour à quatre-vingts jeunes filles appartenant aux familles les plus illustres de la Perse ; dix mille Macédoniens suivirent leur exemple. En mettant ainsi sa main dans celle de l’Asie, la Grèce abjurait, à la face du monde, les odieux projets de dévastation auxquels, depuis les jours de Cléarque et d’Agésilas, des capitaines d’aventure n’avaient pas cessé de la pousser. Les peuples conquis, à dater de ce jour, respirèrent. Des rives de l’Indus à la Méditerranée et à l’Hellespont, les anciens sujets de Darius durent éprouver ce sentiment de soulagement soudain qui parcourut la société romaine quand elle apprit que l’armée de Clovis venait de recevoir le baptême ; Alexandre voulut marquer cette heure mémorable par ses libéralités habituelles ; il consacra plus de 110 millions de francs à payer les dettes de ses soldats. L’empereur des Français, protecteur de la confédération du Rhin et roi d’Italie, n’aurait pas mieux fait.

110 millions de francs ! C’était beaucoup sans doute, c’était trop peu encore pour des gens qui se croyaient frustrés quand on ne leur livrait pas le monde à piller. Alexandre avait pressenti de longue date les murmures que lui préparaient ces insatiables et jalouses convoitises ; peut-être, tout fort qu’il fût, eût-il été impuissant à y résister, s’il n’eût pris la précaution de mettre l’Asie vaincue sous la protection des Asiatiques. L’Hyrcanie était à peine soumise et les troupes rassemblées à Zadracarta n’avaient pas encore levé leur camp pour marcher sur la Bactriane, que déjà trente mille jeunes gens recrutés dans les diverses satrapies étaient réunis en corps et formés au métier des armes par les instructeurs macédoniens que le roi leur laissait. On apprenait à ces recrues dociles à manœuvrer à la grecque, à porter la cuirasse, à manier la sarisse et le bouclier. La nouvelle phalange rejoignit l’armée à Suse : Alexandre la passa en revue, loua son zèle, applaudit à sa bonne tenue et pour mieux marquer, s’il était possible, le but auquel il tendait, appela cette jeune garde sa lignée, ses descendans, en d’autres termes ses épigones. On lui reprochait d’adopter le costume et les mœurs des barbares ; il demandait en échange aux barbares d’abandonner leur tactique vieillie pour se plier aux institutions