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guerrières des Macédoniens. Bactriens, Sogdiens, Arachotes, habitans de l’Arie et de la Drangiane, Parthes et Saces trouvaient accès dans la cavalerie des notaires, qui se grossissait, pour leur faire place, d’une cinquième hipparchie. L’escadron royal lui-même, l’agéma, voyait tout à coup figurer dans ses rangs OEgobarès et son frère Mithrobée, les fils d’Artabaze, ceux de Mazée et ceux de Phratapherne, Histanès, le frère de Roxane, et le Bactrien Hydaspe. Les vaincus se prêtaient facilement à cette fusion, s’y portaient même avec un certain enthousiasme ; les vainqueurs en concevaient une violente jalousie : sans le respect que leur inspirait Alexandre, leur mécontentement aurait depuis longtemps éclaté.

Nous avons vu Alexandre rétablir partout dans l’Asie-Mineure le gouvernement populaire ; dans les autres provinces de l’empire il semble, au contraire, n’avoir eu en vue que de consolider, et, s’il est permis d’employer ici une expression toute moderne, de moraliser le gouvernement des satrapes. En dépit des préjugés qui auraient pu parler si haut dans un cœur désireux d’obtenir l’approbation d’Athènes, ce conquérant de bon sens ne rêva jamais, pour les peuples rangés sous son sceptre, de constitution idéale ; il jugea plus prudent et plus sage de leur laisser, provisoirement du moins, les institutions auxquelles il les trouvait habitués. Les anciens connaissaient trois formes très différentes d’association politique : le gouvernement d’un seul, le gouvernement d’une élite peu nombreuse et finalement le gouvernement de tous. C’est à cette dernière forme gouvernementale qu’à travers des évolutions successives finissent par s’arrêter la plupart des états : monarchiques au début, oligarchiques dans leur maturité, ils évitent difficilement la pente qui doit les conduire, comme les fleuves à la mer, vers les plaines fertiles ou fangeuses de la démocratie. « Voyez, s’écrie à Sainte-Hélène l’empereur Napoléon, comme aux États-Unis sans efforts aucuns tout prospère ! C’est qu’en réalité, dans cet heureux pays, il n’y a que la volonté de tous, que les intérêts publics qui gouvernent. Mettez le gouvernement en guerre avec la volonté générale, et vous verrez aussitôt quel tapage ! » La volonté générale ? Voilà donc, selon le grand homme qui fit rentrer la révolution débordée dans son lit, le suprême arbitre et le souverain remède ! En présence d’un tel aphorisme, tombé de si haut, on aurait mauvaise grâce à douter que le monde puisse, en effet, se suffire à lui-même. L’apparition des Alexandre et des Napoléon sur la terre, ce sont les coups de foudre de la Providence ; nous ne pouvons pas demander qu’il tonne tous les jours. Il n’est donc peut-être pas mauvais que les nations s’habituent peu à peu à se passer d’une tutelle qui risque tant de leur faire défaut ; mais