Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à mon aise de cette magnificence. Le reste de la caravane galope autour de nous furieusement ; les ânes, excités, s’emportent malgré leurs cavaliers ; un des donkeyboys a le pied blessé d’une ruade : de là des cris et une confusion qui ne se calment qu’à la ville.


2 janvier.

Voici enfin le jour de notre expédition à Gizeh. La première vue des pyramides, en arrivant au Caire, n’est ni grandiose, ni saisissante. Les formes nous en sont si familières qu’elles ont quelque chose de « déjà vu » et elles sont trop lointaines pour être dans le paysage autre chose qu’un trait caractéristique. Puis, successivement, nous les avons vues à l’horizon, de tous les points, presque de toutes les routes environnant le Caire, et nous sommes inconsciemment habitués à ces triangles, se détachant en bleu sombre ou se fondant dans la brume argentée. Mais aujourd’hui ces fantômes vont devenir des réalités. Nous suivons la chaussée qui longe l’autre rive du Nil, sous une belle allée d’acacias touffus qui se croisent sur nos têtes. Entre nous et le fleuve s’étend une large bande de terre chocolat, à peine quittée par les eaux et que l’on sème chaque jour à mesure qu’elles se retirent. Nous passons le palais de Gizeh, gardé par des sentinelles à cheval et habité par le vice-roi, et tournons dans un petit village en décombres. Comment des créatures humaines peuvent-elles vivre dans de tels bouges ? Nous frayons difficilement notre chemina travers des monceaux de maïs qui sèchent sur la route en l’obstruant et que l’on charge sur des ânes et des chameaux. On crie, on se fâche, on accroche et l’on passe enfin, comme toujours. Alors, la chaussée, libre, reprend, droit vers l’ouest, jusqu’aux pyramides. Des deux côtés, des champs, des plantations se succèdent. Tout est cultivé avec un soin très grand et partout coupé de rigoles de drainage, car, jusqu’au mois de novembre, tout ceci est recouvert par le Nil. Nous voyons les fellahs draguer avec de longs filets, le canal qui longe la route, tirant de chaque rive par des cordes avec les mêmes attitudes, presque les mêmes costumes que dans les peintures anciennes. Devant nous, les pyramides grandissent, dorées au soleil du matin. L’air est d’une limpidité si merveilleuse qu’il semble que le regard puisse traverser tous les objets. Enfin, nous arrivons à une rampe abrupte que les chevaux montent au galop et subitement la masse se dresse devant nous, remplissant l’espace, le ciel, l’horizon. A côté, derrière, plus loin encore, d’autres masses presque semblables ; tout autour, des tombes, des rochers, des monticules creusés. Non, rien n’avait pu me donner d’avance une idée de cette région étrange, aux proportions colossales. L’effort pour comprendre cette immensité est presque douloureux ; s’en figurer