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milieu de telles complications et pendant quatorze mois, un ministère modéré. L’habileté y eût échoué. La loyauté un peu rude d’un homme d’état de quatre-vingts ans sut y parvenir.

L’effet, en France et en Europe, fut immense. En se soumettant, non devant un homme, mais devant son pays librement consulté, le maréchal avait écouté les voix les plus sages. Pour la première fois, disait-on, la France avait su faire l’économie d’une révolution.

M. Dufaure appela autour de lui tous ceux dont il avait pu, en d’autres temps, apprécier la valeur. Grâce à M. Léon Say, l’accord fut sur-le-champ rétabli avec la commission du budget, et la loi de finances fut votée.

Une première tâche s’imposait au nouveau ministère : il fallait avant tout panser les plaies des sept derniers mois. Cette fois, le personnel ne causait pas les difficultés les plus sérieuses. Il fallait à peu près rétablir partout les fonctionnaires qui accomplissaient paisiblement leur tâche le 15 mai précédent. Pour le ministère de la justice, dont M. Dufaure s’occupait exclusivement, le travail porta d’abord sur les juges de paix. Successivement, les magistrats révoqués reprirent leurs places, à moins qu’ils n’eussent démérité. Cet examen permit de juger les chefs de parquets.

Dans l’ordre politique, les réparations étaient moins faciles. La magistrature avait été mêlée à l’œuvre du 16 mai par les répressions mêmes qui lui avaient été demandées : des colères nouvelles s’étaient ameutées contre elle. Les condamnations minimes ne sont pas celles qui laissent de moins longues traces. Or les contraventions, les délits de presse et de colportage avaient été poursuivis par milliers. Il fallait couvrir d’un oubli complet toutes ces erreurs de la passion politique. Dès le lendemain de la constitution du cabinet, la loi d’amnistie fut proposée à la chambre des députés et, au mois de janvier, lorsque le parlement reprit ses séances, le gouvernement pressa l’examen des lois qui, suivant ses amis, devaient rendre impossible le renouvellement d’une campagne aussi funeste aux intérêts conservateurs.

Au sénat, les discussions furent animées, elles ravivaient de récens et pénibles souvenirs. Une politique sage commandait cependant des précautions spéciales. L’état de siège, qui aurait été décrété dans l’automne à la veille des élections sans la résistance peu connue du parquet de la cour de cassation, était une mesure si grave qu’il fallait empêcher à l’avenir que des pouvoirs destinés à réprimer l’insurrection devinssent un instrument de pression électorale. M. Dufaure tenait ces lois pour aussi sages que nécessaires. Les constitutionnels leur firent bon accueil. À droite, on eut l’injustice et l’imprudence de les qualifier de lois de parti. C’est à propos du colportage que M. Dufaure eut à répondre à ce grief : « Si nous étions, dit-il,