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Passons maintenant au second degré de l’échelle et demandons-nous avec M. Ravaisson si le désir, fond de la volonté, n’a pas lui-même dans la conscience un fond plus reculé. Si l’objet du désir, dit M. Ravaisson, c’est-à-dire le bien « qui le touche et qui le tire, » était « étranger, extérieur à lui, » il n’irait jamais « atteindre l’âme dans ses profondeurs et en remuer les puissances. » Le désir suppose donc une première possession et une première jouissance de l’objet, du bien désiré. Ici encore, M. Ravaisson exprime en langue métaphysique des faits élémentaires d’expérience, On ne veut que ce qu’on connaît comme bon, on ne connaît comme bon que ce qu’on sent comme tel, et on ne sent que ce qui est présent, que ce qu’on possède au moins en partie. Si donc nous résumons les prémisses précédemment posées par M. Ravaisson, elles se réduiront aux définitions suivantes de la volonté, du désir et de la jouissance : 1° la volonté est le désir conscient de soi et concevant d’avance la jouissance plus complète d’un objet déjà possédé en partie ; 2° le désir est la tendance à persévérer dans la jouissance de l’objet et à l’accroître ; 3° cette jouissance même ne peut être éprouvée en l’absence de l’objet et en présuppose une première possession. Physiologiquement, la réaction nerveuse a pour condition le contact d’un objet agréable, d’où la jouissance, une fois produit, le courant nerveux tend à suivre la ligne de la moindre résistance, qui est pour la conscience la ligne du plus grand plaisir, d’où le désir, — pure question de pente, de lit tracé d’avance dans le cerveau, simple application du parallélogramme des forces ; — enfin, la conscience du plaisir actuel jointe à la conception du plaisir futur, conséquemment la conscience de la direction suivie par le désir, produit la volonté[1]. Jusqu’ici, rien de mystique : c’est un simple mécanisme mental et cérébral. Maintenant, veut-on convenir d’appeler amour, comme le fait M. Ravaisson, la possession d’un objet causant de la joie, possession qui tend à se maintenir quand elle est complète ou à s’achever quand elle est incomplète, par cette simple raison qu’elle est un bonheur déjà accompli ou seulement commencé ; on pourra alors conclure avec M. Ravaisson que l’amour est la condition du désir, qui est lui-même la condition de la volonté. Mais il y a là, d’abord, un certain abus du mot amour, pris

  1. M. Ravaisson se borne à exprimer les mêmes choses en formules plus abstraites lorsqu’il dit : 1° La volonté réfléchie est l’union en idée, l’union idéale avec un objet encore séparé d’elle, encore opposé au sujet qui veut ; la volonté implique donc « l’opposition idéale du sujet (moi) et de l’objet (non-moi) ; » 2° La volonté ainsi conçue a « pour condition immédiate l’union imparfaite, demi-idéale et demi-réelle en quelque sorte, du sujet et de l’objet dans le désir ; » enfin, 3° a elle a pour fond leur unité réelle » dans une première possession ou jouissance.