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Le résultat de cette crise, un instant si menaçante pour la paix universelle, c’est, après tout, ce qui a subsisté depuis quarante ans en Égypte, sous Méhémet-Ali d’abord, puis sous ses médiocres et faibles descendans ; c’est cet ordre de choses qui a pu être modifié par des firmans, par des arrangemens successifs, qui en définitive s’est maintenu à travers tout avec l’assentiment de la Porte elle-même et la garantie de l’Europe, surtout des deux grandes puissances de l’Occident redevenues depuis longtemps des alliées. Il s’agit maintenant de savoir si ce qui est sorti laborieusement de la crise d’autrefois sera emporté par une crise nouvelle, comment cette situation égyptienne violemment compromise depuis quelques mois pourra être raffermie et régularisée, quel sera le dernier mot de cet inextricable conflit où sont engagés à la fois les droits du protectorat européen, les prétentions de là Porte, les intérêts de l’Égypte elle-même. C’est justement la question qui se débat à Constantinople dans la conférence, tandis que l’Angleterre, sortant de ses hésitations, vient de se décider brusquement à bombarder Alexandrie.

Évidemment, cette question d’Égypte, elle n’est plus aujourd’hui ce qu’elle a été autrefois. Elle se compose bien, si l’on veut, des mêmes élémens et elle se rattache à tout un passé, à tout un ensemble d’événemens ; elle se manifeste seulement avec d’autres caractères, sous des traits nouveaux. Il ne s’agit plus, comme il y a près d’un demi-siècle, de réduire un vassal révolté dont l’ambition pouvait paraître inquiétante, mais qui avait assez de puissance pour créer une sorte de civilisation dans son pays. Le danger est dans cette indéfinissable anarchie qui s’est développée par degrés depuis quelque temps, qui a commencé par mettre en doute le pouvoir du khédive lui-même aussi bien que l’autorité des engagemens internationaux pour en arriver bientôt à menacer les intérêts et la vie des Européens ; c’est ce désordre qui s’est attesté par des scènes comme les massacres d’Alexandrie. On peut parler tant qu’on voudra de mouvement national, de droits du peuple et même d’institutions libres. Ce qui est certain, c’est que cette prétendue résurrection égyptienne ne s’est manifestée que par des insurrections militaires, par des interventions de la soldatesque, et que ce mouvement national n’est représenté jusqu’ici que par un colonel qui, en quelques mois, de sédition en sédition, est arrivé à se faire pacha, ministre de la guerre, dictateur, — dominant le khédive, traitant avec la Porte, bravant l’Europe. Ce qu’il y a également de bien clair, c’est que le résultat de cet étrange régime est une désorganisation croissante qui remet tout en question dans ces régions du Nil. En quelques mois l’Égypte a perdu les fruits du travail de bien des années. Tous les intérêts ont été rapidement compromis. Des institutions de garantie internationale qui avaient contribué au crédit, à la prospérité du pays, se sont trouvées suspendues. Tous les droits, toutes les