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se réduit à cette idée que les morts anciens revivent d’une certaine manière, tout imaginaire, par les bienfaits qu’ils ont assurés à leur postérité. Le reste n’est que le développement lyrique de cette même idée. Cette harmonie qui ne meurt pas, cet ordre merveilleux et toujours grandissant, cette vie à venir que ces martyrs ont rendue plus glorieuse, cette double perspective étendue vers le vaste passé qui n’enfanta que le désespoir et vers cet avenir qui nous découvre la joie du monde, ces cieux très purs auxquels aspire toute âme noble, c’est dans un sens tout réaliste qu’il faut entendre tout cela, « Les cieux très purs, dit M. Mallock, ces cieux que les hommes d’une génération doivent avoir en vue, sont un accroissement de joie qu’ils auront assuré, par leur bonne conduite, à la génération à venir. Ainsi le présent pour les positivistes est la vie future du passé, la terre est un ciel qui la réalise sans cesse. Il paraît que c’est comme un chœur éternel en action : les exécutans sont encore un peu en dehors du ton, mais ils deviennent à chaque instant de plus en plus parfaits. En ce moment, un ciel de ce genre existe autour de nous. Notre joie actuelle, dont nous ne nous apercevons guère, eût été le ciel pour nos grands-pères, si elle avait commencé un siècle plus tôt. » Et l’humoriste anglais ajoute quelques réflexions égayées : « Mais il est clair que cette prétendue musique ne se trouve pas partout. Où donc est-elle alors ? Et quand nous l’aurons, méritera-t-elle tous les éloges qu’on lui décerne ? On nous indique bien le moyen d’assurer à chaque exécutant sa voix ou son instrument, mais on ne nous dit pas comment avoir de bonnes voix ou de bons instrumens ; on ne décide pas non plus si l’orchestre jouera du Beethoven ou de l’Offenbach, si le chœur chantera un psaume de la pénitence ou une chanson à boire[1]. »

C’est ici qu’il serait bon d’appliquer une opération chimique du genre de celle que nous avons indiquée et qui consisterait à éliminer tous les élémens disparates d’origine spiritualiste ou religieuse, à écarter toutes ces brillantes métaphores qui font illusion, à débarrasser la pensée de cette enveloppe, à la réduire à sa vraie substance. Quelle réalité nue et froide s’offrirait alors à nos yeux ! Ce n’est pas la sensibilité qui manque à des positivistes tels que M. Huxley ou Littré ou George Elliot. C’est au contraire leur sensibilité personnelle, ardente sous les glaces de la doctrine, qui projette sa chaleur au dehors. L’idée ramenée à elle-même est bien peu de chose. Comme elle nous paraît pauvre, sèche, d’un réalisme froid, d’une médiocrité désolante, quand elle n’est plus animée par les

  1. W. Mallock, p. 84.