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LA
MAGISTRATURE ÉLUE

Un pays civilisé ne peut pas se passer de juges, on le reconnaît ; mais il peut encore moins se passer de juges qui rendent la justice : c’est ce que beaucoup de gens oublient. Les partis politiques, cherchant avant tout à grossir leurs rangs, arrivent à classer tous les citoyens en deux camps : qui n’est pas pour eux est contre eux. Cependant le point essentiel est que le juge ne soit pour ni contre personne. Avant de chercher comment il dirigerait les affaires publiques, qu’il ne dirige pas, il faut se demander s’il applique les lois, qu’il doit appliquer ; avant de savoir comment il vote, il faut savoir comment il juge. Un gouvernement, républicain ou monarchique, a sans doute le droit d’obtenir de tous les corps judiciaires qu’ils reconnaissent et respectent son propre principe ; mais, cela fait, tout lui reste à faire, puisque ces corps ne sont institués qu’en vue de la justice et que la justice est encore à organiser. M. Ribot a, d’un mot, dans la séance du 1er juillet 1882, exactement résumé la question : « Il faut une magistrature républicaine ; mais ce qui est encore plus nécessaire, c’est qu’il y ait une magistrature. »

Or il n’y a pas de magistrature si le juge n’est impartial. C’est pourquoi presque tous les peuples modernes ont cherché le moyen d’assurer son indépendance. Quand Loyseau, dans son Discours sur l’abus des justices de village, voulut, au XVIIe siècle, montrer l’infériorité de ces juridictions subalternes, il écrivit : a La justice des villages ne peut qu’elle ne soit mauvaise, pour ce que ces petits juges dépendent entièrement du pouvoir de leur gentilhomme, qui les peut destituer à sa volonté et en fait ordinairement comme de ses valets ; » et ailleurs : « Si le seigneur veut mal à quelque homme de bien, qui est l’officier qui, pour faire le bon valet, ne fera contre