Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/572

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

législative. Celle-ci, avant de se séparer, supprimait le titre de citoyen actif et conférait le droit de suffrage à tout Français, âgé de vingt-un ans, domicilié depuis un an, pourvu qu’il ne fût pas en état de domesticité (loi du 11 août 1792), préparant ainsi par la modification du corps électoral la dissolution des tribunaux. La convention, à peine installée, décrétait, nous l’avons dit, que les corps judiciaires, les juges de paix « et leurs greffiers, » seraient renouvelés en entier, « sauf la faculté de réélire ceux qui auraient bien mérité de la patrie, » et que le peuple avait désormais « le droit de choisir indistinctement ses juges parmi tous les citoyens. » Une loi du 19 octobre 1792 convoquait les nouveaux électeurs et répétait : « L’obligation de ne choisir pour les emplois judiciaires que ceux qui ont exercé pendant un temps déterminé la profession d’homme de loi est abolie, et les choix, tant pour ces fonctions que pour les autres fonctions publiques, pourront être faits indistinctement parmi tous les citoyens et fils de citoyens âgés de vingt-cinq ans accomplis, domiciliés depuis un an et n’étant pas en état de domesticité ou de mendicité. »

C’est avec une profonde tristesse que nous feuilletons ces pages de notre histoire contemporaine. On peut assurément excuser la constituante. Il s’agissait de remplacer des tribunaux qui ne pouvaient pas survivre à la chute de l’ancien régime, et l’on conçoit qu’elle ait, pour transformer l’organisation judiciaire, à cette heure d’illusions et d’espérances, fait un appel direct à la nation, source unique de vie, de force et de pouvoir. Quel mécompte ! Le prestige et l’autorité que ne pouvait plus communiquer le roi, la nation ne les avait pas communiqués davantage : elle-même maudissait son propre ouvrage et n’aspirait qu’à le détruire. Ses élus chancelaient au premier pas et tombaient, essoufflés, bien avant le terme de leur course. Quel mécompte ! mais quel enseignement ! Déjà le vice originel du système électif apparaît aux moins clairvoyans. Si ces premiers tribunaux succombent, haïs, injuriés et menacés, c’est qu’ils ne reflètent plus, moins de six mois après leurs élections, les passions du corps électoral : ce n’est pas qu’ils aient méconnu leurs devoirs, c’est qu’ils ne les ont pas oubliés. Le premier essai de ce système avorte donc avec l’œuvre politique et constitutionnelle de 1791.

Les élections faites sur l’injonction de la convention nationale et conformément à la loi d’octobre 1792 furent exclusivement politiques. On choisit généralement, sur tous les points du territoire, de chauds patriotes, qui n’avaient pas la moindre notion des lois ni des affaires. C’est ainsi qu’à Paris même on voit figurer, sur cinquante et un juges et suppléans, à côté de douze « hommes de loi, » un peintre, deux graveurs, un ciseleur, deux employés, deux commis,