Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Rayer, d’Andral et de Bouillaud à la Charité. Il était attiré vers cette médecine qu’il aimait et qu’il a toujours aimée. C’est ainsi que vers la fin de sa vie il écrivait : « Malgré tout et quoi que la médecine m’ait coûté, je ne voudrais pas qu’elle eût manqué à mon éducation générale. C’est moralement et intellectuellement une bonne école, sévère et rude, mais fortifiante. Perpétuel témoin des souffrances et de la mort, elle inspire une profonde pitié pour la condition humaine. Il est bon d’avoir vu l’amphithéâtre et l’hôpital, et de savoir par quel procédé organique la maladie se produit dans le corps vivant, quels troubles elle y cause et comment elle vient à la guérison ou à la mort[1]. »

Dès l’année 1830, ses maîtres Andral et Bouillaud le prient d’entrer dans le comité de rédaction d’un nouveau journal qu’ils fondent : le Journal hebdomadaire de médecine. A peine fondé, la révolution de 1830 éclate. M. Littré, libéral, ardent, fougueux, passionnément convaincu, ne craint pas d’aller combattre les Suisses au Port-Royal ; il se bat vaillamment et va ramasser le cadavre de son ami Georges Farcy sous le feu plongeant des soldats de Charles X. Je ne puis me rappeler sans émotion avec quelle éloquence puissante et simple M. Littré racontait sa courte vie d’insurgé. J’étais bien jeune et je me vois encore dans le petit salon de mon père, au Mesnil, le dimanche soir, blotti dans un coin, la bouche ouverte, les yeux fixes, saisi par l’intérêt et l’épouvante à la vue de ces fusillades acharnées, de ces morts glorieuses, de ces promenades triomphales à travers Paris ou Rambouillet. Tout cela, je le voyais, car la parole de M. Littré était vivante. On sentait que cette histoire avait été vécue, et ardemment vécue ; elle se déroulait comme les tableaux d’un brillant panorama. Et puis c’était un spectacle attachant que de voir son visage s’illuminer, son œil s’enflammer sous ses grands sourcils agités. Tout respirait en lui l’enthousiasme, l’amour du bien, du beau, passionnément conçu, simplement exécuté.

Mais les devoirs de citoyen ne faisaient pas oublier à M. Littré ses devoirs de rédacteur du Journal de médecine. Le lendemain de la révolution, après avoir célébré en quelques lignes ces glorieuses journées de juillet qui ouvraient à la liberté et à la science une ère nouvelle, il publie un article de critique, à propos de la triste influence que la métaphysique a eue sur les études physiologiques et il combat vigoureusement les vitalistes de l’école ultramontaine convaincus que l’intelligence peut parfaitement exister, progresser et produire sans cerveau. C’est dans le même journal qu’il écrit des études historiques de la plus grande valeur sur Van Helmont, Cullen, Brown. En 1831, il entre au Nacional et s’y révèle comme un

  1. Médecine et Médecins, préface, 1872.