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on se partagera la besogne définitive. « Eh bien ! si vous voulez, lui répond M. Littré, mettez-vous à votre bureau et je vais vous dicter. » C’est ainsi qu’en une nuit fut rédigé ce grand article désormais classique. Malgré cette immense facilité, M. Littré ne travaillait pas par boutades, mais avec la plus grande régularité. Et que de temps consacré au travail ! Il se levait à huit ou neuf heures et ne se couchait qu’à trois heures dans la nuit. Ce travail solitaire, infatigable, inquiétait vivement sa mère, qui tremblait pour la santé de son cher fils. On trouve les traces de ces craintes dans cette belle lettre que lui écrit le directeur du National, Armand Carrel, en 1835 : « Quand on a tant d’amour pour la science et qu’on exprime si éloquemment cette noble passion, on est bien excusable de ne pas toujours obéir aux représentations d’une mère qui ne veut pas qu’on travaille trop ; mais on devient aussi un être précieux à la science et à son temps. Quand donc, madame, vous presserez Émile de se ménager, que ce ne soit plus seulement au nom de votre tendresse et de ses sentimens pour vous. Dites-lui que d’autres que vous ont besoin de lui. »

Jusqu’en 1848, M. Littré partage son temps entre la traduction d’Hippocrate et ses nombreuses publications littéraires. La révolution éclate ; il est nommé membre du conseil municipal, de la commission des récompenses, et refuse le ministère de l’instruction publique. « Je l’accepterai si personne n’en veut. Mais, ajouta-t-il, vous trouverez bien un amateur. » Pendant ces temps troublés, il ne perd pas de vue sa chère médecine. Il traduit Pline l’ancien, écrit une introduction à la Physiologie de Muller. Puis, en 1855, il refond avec M. Ch. Robin le Dictionnaire de médecine de Nysten ; il donne au Journal des Débats et au Journal des savans de nombreuses études sur l’histoire médicale ; il écrit une introduction au livre de Salverte sur les Sciences occultes. En 1858, il est élu membre de l’Académie de médecine et, en 1861, il publie le dernier volume d’Hippocrate. À partir de ce moment, le Dictionnaire de la langue française absorbe presque toute la vie de M. Littré. Cependant il s’intéresse toujours à l’histoire de la médecine, et, soucieux de ses progrès, il obtient de M. Duruy la création d’une chaire au Collège de France, mais, comme toujours, il refuse de l’occuper et la fait confier à mon père. En outre, dans la Revue positive, fondée en 1867, il publie chaque année quelque remarquable article médical. Enfin, en 1872, M. Littré a terminé son Dictionnaire, il est élu à l’Académie française et se repose en réunissant en deux volumes ses principaux articles de médecine sous le titre de : Médecine et Médecins et la Science au point de vue philosophique.

Quelle œuvre médicale immense à côté de l’œuvre littéraire, plus