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des remèdes infaillibles, indiquer les causes les plus cachées des maladies les plus redoutables. « Se taire dans ce cas, ne pas donner d’explication est si rare qu’on peut regarder le silence en pareille matière comme la marque d’un esprit discipliné et habitué à réfléchir sur l’étendue de ce qu’il sait réellement[1]. »

M. Littré avait la réserve et la modestie des vrais savans. Il aimait la médecine et il voulait qu’elle fût respectée. Cette admiration et ce respect, il les étendait à la science entière, qui a ouvert des horizons si élevés, si poétiques à l’étude de la nature et du monde : « Ce bleu céleste où l’on voyait une muraille immobile et solide, tout cela s’est dissipé comme une erreur, comme un songe des premiers hommes ; l’espace infini s’est ouvert sinon aux regards, du moins à la pensée. La terre, humble planète, a pris son rang autour de son splendide soleil ; ce soleil lui-même, vu à sa véritable distance, n’a plus été qu’une étoile perdue au milieu des innombrables étoiles, et l’homme, du seuil de sa terre si petite, a pu contempler les mondes fuyant comme une troupe d’oiseaux d’un vol infatigable sans terme et sans relâche et déployant dans les espaces déserts leurs ailes lumineuses[2]. » Quel poétique enthousiasme pour la nature, pour la science ! quelle hauteur de pensée ! quel charme d’expression ! On se demande comment Mgr Dupanloup a pu dire, dans son Avertissement adressé aux jeunes gens et aux pères de famille, en 1863, que M. Littré était « un écrivain embarrassé dans son style, un esprit raide et tendu, plus allemand que français, fatigué par la vue obstinée du même horizon et l’entêtement des mêmes idées. » Rien n’est plus injuste que cette appréciation. Et l’examen de son œuvre médicale nous montrera, au contraire, l’esprit le plus varié, le plus malléable, le plus ouvert à toutes les grandes découvertes.


I

Après son grand Dictionnaire, la plus grande œuvre de M. Littré a été sa traduction d’Hippocrate. Il la commença jeune et la termina vieux ; le premier volume parut en 1839, le dernier en 1S61 ; et ce n’est pas sans un sentiment d’affectueux regret qu’à cette époque, il se sépare de ce compagnon de tant d’années, auquel il doit sa réputation européenne parmi les médecins et les érudits. Avant M. Littré, tout ce qu’on a écrit sur Hippocrate est une œuvre à peu près stérile, faute de méthode, de critique, de connaissance de l’histoire de la médecine. Cette méthode, c’est lui qui l’a trouvée ;

  1. La Science de la vie, dans la Revue du ler janvier 1855.
  2. OEuvres d’histoire naturelle de Goethe, dans la Revue du 1er avril 1838.