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apparut sur la scène. Dans la religion des gentils, les démons étaient de bons génies ; mais quand les démons furent des anges rebelles, les ennemis de Dieu, les auteurs du mal, les inspirateurs des noirs forfaits, alors on s’inquiéta de ceux qui prétendaient fréquenter habituellement une aussi redoutable compagnie. C’est alors que l’on vit s’allumer les bûchers dont la flamme lugubre se projette sur quatre longs siècles. La justice, se montrant aussi cruelle que le diable était méchant, promenait la mort parmi les sectateurs du prince des ténèbres. La foi qui brûlait était aussi déraisonnable que le fou qui était brûlé. Et cependant, était-elle donc si dangereuse. cette science des sorciers ? avait-on jamais vu un magicien dénouer les liens serrés autour de ses mains ou briser les portes d’une prison ? De ces relations de l’esprit humain avec les princes du ciel ou de l’enfer, était-il sorti quelque conception féconde, quelque production de génie, quelque œuvre effective ? Le magicien ne vivait-il pas pauvre à côté des trésors, ignorant à côté de la science ? « Les sciences occultes, nous dit M. Littré, malgré les promesses qu’elles prodiguaient, ont manifesté leur impuissance finale. Toute l’histoire chemine comme si elles n’existaient pas ; elles tiennent la baguette des fées, et cette baguette ne produit pas d’œuvre dans leurs mains[1]. »

M. Littré a voulu jeter aussi quelques rayons de la science moderne sur les hallucinations et les phénomènes nerveux étranges qui prirent anciennement la forme épidémique. Quel étrange spectacle que celui de ces bandes d’hommes et de femmes formant des cercles en se tenant par la main et dansant avec fureur jusqu’à ce qu’ils tombent épuisés, et allant, à travers l’Allemagne étaler le spectacle de leurs danses désordonnées ! Quelle bizarre folie que celle de ces aliénés appelés lycanthropes par Oribase, loups-garous au moyen âge, « qui, nous dit le médecin de Julien, imitent les allures du loup en toute chose et errent jusqu’au lever du soleil autour des tombeaux ! Ils sont pales, ils ont les yeux ternes, secs et enfoncés dans les orbites, la langue sèche, sans salive ; la soif les dévore. » Mais, de notre temps, n’est-il pas tout aussi étrange de voir surgir en plein XIXe siècle, aux États-Unis, une épidémie d’hallucination causée par la croyance aux esprits frappeurs, aux tables tournantes, aux visions célestes ? Et tout récemment encore, en 1878 et en 1880, n’avons-nous pas vu des épidémies de démonopathie apparaître en Italie ? La dernière a pris naissance à Alla, près d’Udine, à la suite d’une procession faite pour prier saint François de faire pleuvoir. La statue du saint fut promenée, et une jeune fille

  1. Littré, les Tables parlantes et les Esprits frappeurs, Revue du 15 févriers 1856, et introduction à la 3e édition du livre de Salverte : les Sciences occultes, 1856.