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sociales et qui se jettent avec une ardeur inconsidérée dans les bras de la religion comme dans un refuge sacré.

S’il a existé au moyen âge des maladies diaboliques, il y a eu aussi des guérisons miraculeuses. M. Littré a essayé de faire rentrer quelques-uns de ces faits surnaturels dans le domaine de la médecine. C’est dans ce sens qu’il a étudié sept cas de guérisons opérées sur le tombeau de saint Louis qui sont racontés dans un vieux texte du XIIIe siècle[1]. Ces sept malades étaient atteintes de paralysie du mouvement et de la sensibilité, de contractures des membres et de paralysie des vaisseaux sanguins déterminant une coloration foncée des tissus. Toutes ces malades furent soulagées ou guérirent en se couchant sur le tombeau et en accolant leurs membres à la châsse du saint roi, après avoir éprouvé des contractions générales. Ces observations montrent que l’on avait affaire à des hystériques chez lesquelles une influence morale vive provoquait un vigoureux ébranlement nerveux. Cette influence morale peut être religieuse, c’est-à-dire psychique, comme elle peut être purement physique, quand il s’agit d’une frayeur subite. Peut-être aussi pourrait-on invoquer dans ces cas l’influence du froid produit par la pierre du tombeau et l’action électro-magnétique des métaux qui composaient la châsse de saint Louis. Nous sommes fondés à émettre aujourd’hui de pareilles hypothèses. Mais, au moyen âge, on ne connaissait ni l’influence naturelle du moral sur le physique, ni l’action du froid, ni l’électrothérapie, ni la métallothérapie. La science, cette foi démontrée, n’existait pas ; les intelligences étaient gouvernées par la foi traditionnelle, qui, livrée à elle-même, tombe infailliblement dans la superstition. Elle était fatale au moyen âge, cette superstition, et elle ne doit pas nous rendre injustes envers ce temps malheureux. « Dans cette église majestueuse de Saint-Denis, que j’ai si souvent visitée et admirée, dit M. Littré ; il m’est facile de m’asseoir en idée à côté des pèlerins ; même de leur parler ne m’est pas étranger, car je m’y suis familiarisé dans les livres ; j’examine avec curiosité et en médecin leurs infirmités ; j’écoute avec compassion leurs plaintes et leurs prières, et quand une voix joyeuse s’élève pour annoncer une guérison, je me réjouis de l’heureux événement, non sans m’étonner des ressources secrètes des organismes vivans. »

Ce n’est pas seulement les épidémies nerveuses, mais toutes les épidémies, que l’antiquité et le moyen âge plaçaient sous l’influence des agens surnaturels, et c’est à ce titre que M. Littré a

  1. Littré, un Fragment de médecine rétrospective, dans la Philosophie positive, juillet 1869.